LE QUOTIDIEN : En quoi Didier Raoult et ses partisans dérogent-ils à l’éthos scientifique que vous décrivez dans votre livre ?
ARNAUD SAINT-MARTIN : Didier Raoult s’est au cours de la pandémie fendu de réflexions aberrantes sur ce que c’est que la pratique scientifique, sa régulation ou son organisation. Il a notamment critiqué un improbable fétichisme de la méthode, ce qui me paraît particulièrement absurde : la pratique scientifique consiste justement en grande partie à maîtriser un certain nombre de méthodes, notamment en matière d'administration de la preuve. Je trouve également critiquable le fait qu’il ait cité, à tort, certains philosophes des sciences, et notamment le fameux « anything goes » de Paul Feyerabend. Enfin, quand une contradiction honnête lui a été apportée, Didier Raoult a répondu par le mépris et l’insulte, a crié à la fraude, ce qui est très grave car la pratique scientifique suppose justement de pouvoir accueillir la contradiction.
Comment interprétez-vous le fait que certains médecins, censés adhérer à l’éthos scientifique, se soient rangés derrière Didier Raoult ?
Il y a effectivement des médecins qui l’ont soutenu, et j’aimerais bien savoir quelles sont leurs caractéristiques sociales, leurs trajectoires professionnelles… Mais je me méfie de l’idée selon laquelle il y aurait un mouvement de masse. Ce sont des gens qui savent trouver les bons canaux médiatiques pour porter leurs discours, et il est extrêmement facile d’avoir une certaine visibilité puisque les médias cherchent ces bons clients. Il y a là une forme de responsabilité de la part de Didier Raoult, qui a encouragé ces médecins dans l’idée qu’ils sont dans une forme de résistance, qui les a confortés dans une position de lanceurs d’alerte…
Ces médecins disent aussi défendre la liberté de prescription. Le Covid n’a-t-il pas d’une certaine manière remis en cause leur identité professionnelle ?
Il est vrai que l’interdiction de prescrire a pu être vécue comme une atteinte à l’autonomie et à la grandeur de la profession. Mais cet argument, qui peut être valable dans une logique professionnelle, ne l’est pas dans une logique scientifique. Il y a en face du principe de liberté de prescription un principe de prudence : dans l'incertitude des effets indésirables il vaut mieux ne rien prescrire que de prescrire un traitement potentiellement dangereux. Dans cette séquence qui a été qualifiée de guerrière par l'exécutif, c’était plutôt le moment de faire preuve de discipline collective. Si une liberté de prescription totale avait été entérinée à ce moment-là, on aurait pu avoir un véritable scandale sanitaire en bout de course.
* Arnaud Saint-Martin, «Science», éditions Anamosa, septembre 2020
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