Accès directs aux paramédicaux, compétences élargies : la loi Rist adoptée, les médecins ont réduit la portée du texte

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Publié le 11/05/2023
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Crédit photo : S.Toubon

Après le Sénat, l'Assemblée nationale a adopté définitivement mercredi – 226 voix pour et une contre – la controversée proposition de loi sur l'accès aux soins, portée depuis octobre par la députée du Loiret (Renaissance) et rhumatologue Stéphanie Rist.

Dans un hémicycle clairsemé, l'élue macroniste a salué « un texte équilibré prouvant notre écoute vis-à-vis des professionnels de santé ». De fait, le texte a nourri un long bras de fer entre les paramédicaux – qui ont poussé au maximum pour faciliter les accès directs – et les médecins, qui ont plutôt essayé d'en limiter la portée.

La mesure phare reste l'accès direct des assurés – sans passer par la case médecin – aux infirmiers en pratique avancée (IPA), aux masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes, avec des modalités certes différentes. « C'est un changement de pratique et de culture », s'est en tout cas réjouie Stéphanie Rist (Renaissance). 

IPA, kinés : accès direct très conditionné

Mais à la suite du tollé des syndicats médicaux et de l'Ordre, redoutant « une médecine à deux vitesses », le cadre de cet accès direct a été extrêmement balisé pour les IPA et les kinés. Ainsi, il sera réservé uniquement à ceux exerçant dans une maison de santé, un centre de santé ou une équipe de soins primaires ou spécialisés, et dans le cadre d'un « exercice coordonné » avec les praticiens. Une façon, donc, de restreindre cette évolution des compétences et du parcours de soins. 

Le lobbying médical a payé : sous l'impulsion du Sénat, les parlementaires ont en effet écarté le recours direct aux IPA et kinés exerçant simplement au sein de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui couvrent la moitié du territoire. Cette restriction d'accès aux non-médecins était réclamée notamment par MG France qui trouvait l’échelle de la CPTS trop large pour garantir une prise en charge coordonnée. Néanmoins, le texte final a acté une expérimentation dans les CPTS de six départements dont deux d'Outre-mer (durant cinq ans). Et pour les orthophonistes en CPTS, l'accès direct restera possible. 

Autre restriction posée : pour les kinés, le nombre de séances autorisées en accès direct a été limité à huit, au lieu des dix initialement. Et dernier garde-fou : l'envoi d'un compte rendu des soins réalisés au médecin traitant du patient et reporté dans son DMP a été garanti.

Élargissement des compétences 

Le texte acte d'autres évolutions en matière d'élargissement de compétences. Les IPA pourront effectuer des primoprescriptions pour certains produits de santé et prestations dont la liste sera fixée par décret « après avis de la Haute Autorité de santé » (HAS). Les infirmiers exerçant dans les structures d'exercice coordonné (MSP, centre de santé) pourront prendre en charge la prévention et le traitement de plaies et prescrire des examens complémentaires et des produits de santé. Là encore, les résultats des interventions de l’infirmier seront reportés dans le dossier médical et le médecin en sera informé. 

Le texte va plus loin pour les pharmaciens. Les officinaux pourront renouveler trois fois, par délivrance d’un mois, une ordonnance expirée pour le traitement d’une pathologie chronique. Par ailleurs, les pharmaciens biologistes seront autorisés à pratiquer des prélèvements dans le cadre du dépistage du cancer du col de l’utérus. Prévue à titre expérimental, cette nouvelle compétence des pharmaciens biologistes a été finalement pérennisée via un amendement soutenu par François Braun en séance publique.

Plusieurs professions (assistant dentaire, pédicure-podologue, opticien-lunetier, orthoprothésiste, podo-orthésiste, orthopédiste-orthésiste) voient aussi leurs compétences élargies. Pour assister les chirurgiens-dentistes, la loi crée un nouveau métier – les assistants dentaires dits de niveau II.

PDS : responsabilité collective mais pas d'engagement territorial

Autre changement, dont il faudra surveiller la portée : le principe de « responsabilité collective » des professionnels de santé à la permanence des soins, tant en établissement qu’en ville. Cette disposition prévoit que les établissements de santé mais aussi les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et infirmiers libéraux conventionnés sont « responsables collectivement » pour assurer cette mission de service public. En revanche, le texte a écarté le principe d'un « engagement territorial » des médecins, qui aurait pu les forcer à prendre plus de patients, faire des gardes ou exercer dans un désert médical. Lors du débat, les sénateurs ont supprimé ce chiffon rouge, estimant que cette mesure – sans portée juridique – interférait inutilement avec les négociations conventionnelles.

Exit aussi la mise en place d’une indemnisation du médecin en cas de rendez-vous manqué. Les parlementaires ont écarté cette « taxe lapins » ou ce type de mécanisme de pénalité prélevé sur les remboursements.

« Corporatisme archaïque » ?

Au terme de ce débat chahuté, François Braun s'est défendu de toute « volonté de mettre de côté le médecin généraliste ». « Au contraire, cette loi vient renforcer la place centrale du médecin traitant qui sera le pivot autour duquel va s'organiser la coopération des professionnels de santé », a-t-il plaidé.

En ménageant les médecins, la loi n'aura qu'un « effet cosmétique », réplique la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR) car « seulement 3 % des kinés exercent en maison de santé ». « Cette orientation, fruit d’un corporatisme archaïque, ne prend pas en compte l'ère du numérique en santé ni les possibilités de coordination offertes par les CPTS », se désole l'organisation.

La déception est grande aussi du côté des infirmiers. « L’expérimentation d’un accès direct en CPTS (...) dans seulement six départements ne constitue en rien une solution à la hauteur de l’urgence », critique le Syndicat des infirmiers et infirmières libéraux (Sniil). La Fédération nationale des infirmiers (FNI) estime que les mesures retenues restent « très en dessous de ce qui pourrait être mis en œuvre pour produire un effet très significatif (...) alors que plus de six millions de Français n’ont pas de médecin traitant ». « Une fois de plus, juge Emmanuel Hardy, président de l'Union nationale des infirmiers de pratique avancée (Unipa), nous avons cédé devant le lobbying médical principalement sénatorial ».


Source : lequotidiendumedecin.fr