APRÈS FRANçOIS FILLON, qui l’a fait mardi dernier, le chef de l’État doit recevoir mercredi les députés de la majorité présidentielle et tirer avec eux les leçons de l’échec de l’UMP aux élections régionales. Leur rencontre interviendra une semaine pile après que Nicolas Sarkozy a fait de l’avenir de la médecine de ville une priorité nationale (« le Quotidien » du 26 mars) et lancé une nouvelle grande concertation sur la médecine de proximité. L’occasion de demander à plusieurs députés investis dans le domaine de la santé d’analyser la désaffection du corps médical à droite et de livrer leur réponse au malaise de la profession.
• Jean-Marie Rolland (Yonne) : « Davantage de pédagogie nécessaire »
« Lors de la réunion du groupe UMP avec la Premier ministre, la mauvaise humeur des médecins a été évoquée. Sur le terrain, je vois des médecins préoccupés par certaines mesures qui ont été jugées vexatoires comme la déclaration des congés deux mois à l’avance. En fait, il faut définir un nouveau contrat entre l’État et les professionnels de santé. Quel système veut-on ? Moi, je suis convaincu qu’avec les ARS [agences régionales de santé] , il y a un espace de contractualisation régionale intéressant, sur des expérimentations de permanence des soins, des nouveaux modes de rémunération, des actions de prévention… Sur les réformes, il faut davantage de pédagogie, d’explication, et de service après-vente : c’est ce qui a manqué en direction des médecins libéraux mais aussi pour d’autres corps professionnels qui ont boudé la droite. La médecine de proximité est un vrai sujet, par exemple la question du temps médical, des contrôles, des tracasseries… Mais je veux dire aussi que les médecins ont des revenus garantis et qu’ils doivent assumer leurs responsabilités dans l’accès aux soins, la permanence des soins, la télétransmission. Il faut des engagements de service public et personne n’imagine que l’issue soit uniquement tarifaire. »
• Pr Bernard Debré (Paris) : « La situation est pire qu’en 1997 »
« Je ne parlerais pas de " malaise " des médecins mais de " révolte ". Les médecins ont été méprisés et humiliés et ça, ça marque. L’annonce d’une grande concertation avec les libéraux par le président de la République est une bonne chose. Encore faut-il qu’elle aboutisse. Est-ce que c’est Roselyne Bachelot qui va conduire cette concertation ? Si oui, je crains le pire parce que je ne vois pas pourquoi elle changerait tout à coup son fusil d’épaule. Or les médecins libéraux ont un vrai problème avec la loi HPST [Hôpital, patients, santé et territoires] qui est, pour eux, une loi de punition, transformant le généraliste en fonctionnaire dépendant du directeur d’ARS – au passage, cela signifie qu’à Paris, nous sommes dépendants de Claude Évin… J’ajoute que là où je reste sur ma faim, c’est pour les médecins hospitaliers. Je suis actuellement abreuvé de mails, de pétitions de leur part : ils sont fous furieux ! Quand 900 d’entre eux menacent de démissionner, ce n’est pas pour aller à la pêche ; l’hôpital gronde. Il faut donc reprendre aussi la concertation hospitalière, le président de la République ne doit pas croire que la question est réglée. Je tire la sonnette d’alarme, attention, la situation est bien pire qu’en 1997. »
• Yves Bur (Bas-Rhin) : « Apporter des réponses structurelles à dix ans »
« On voit bien que le monde la santé n’échappe pas à la crise qui devient aussi une crise sociétale. Tous les repères sont bousculés. Concernant les médecins généralistes, qui sont des spécialistes à part entière, je peux comprendre la revendication symbolique de un euro supplémentaire mais chacun sait que la réponse tarifaire n’est pas la seule réponse aux maux de la médecine libérale. La concertation médicale engagée par Nicolas Sarkozy se situe dans le prolongement de la mission Legmann sur l’attractivité de ce métier : clairement il nous faut apporter aux médecins libéraux des réponses structurelles à l’horizon de dix ans. Qu’est ce que l’exercice libéral aujourd’hui ? Quelles solutions modernes pour les jeunes dont les attentes ne sont pas les mêmes que leurs aînés ? Nous devons nous atteler à ce travail et être prêts à rendre des comptes lorsque le temps des élections arrivera. Mais je dis aussi attention aux caricatures et aux surenchères. »
• Pr Jacques Domergue (Hérault) : « La droite sanctionnée par les professions libérales »
« Indiscutablement, entre les professionnels de santé, le gouvernement et même les parlementaires, il y a eu un éloignement. Nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes. Nous, parlementaires, avons sans doute eu la volonté d’être trop réformateurs quand certains représentants des médecins, eux, ont été trop conservateurs. Les études le montrent, votre sondage en témoigne : nous avons été sanctionnés. Par les médecins mais aussi par beaucoup d’autres libéraux, pharmaciens, avocats, experts-comptables… Je ne crois pas du tout, pourtant, que les médecins de ville soient enthousiasmés par le retour de la gauche car cela signifierait la suppression de la liberté d’installation, une étatisation complète… Mais leur mécontentement s’est exprimé. Nous devons refaire un bout de chemin les uns vers les autres. Il faut redonner plus de place aux médecins, renouer aussi avec les syndicats mais eux doivent comprendre que des évolutions de leur métier sont inévitables. Les médecins ont parfois du mal à accepter qu’ils ne soient pas les seuls acteurs qui comptent pour construire une politique de santé. En même temps, ils ont des raisons de se plaindre : les prix de certains actes – la consultation, les actes chirurgicaux… – sont sous-évalués de façon indécente mais on sait aussi que la rémunération à l’acte entraîne des compensations par une forme de suractivité qui est souvent subie. Le système marche un peu sur la tête et le résultat c’est que moins de 10 % des installations se font en secteur libéral. »
• Jean-Pierre Door (Loiret) : « Il va falloir envoyer des signes positifs »
« Le malaise des médecins, on en est bien conscients ! En tant que chargé de mission " professions de santé " pour l’UMP, j’avais pour ma part alerté le cabinet du ministère de la Santé et de l’Élysée sur la nécessité de s’adresser aux médecins. Votre sondage a inquiété tout le monde. C’est pourquoi je suis très heureux de l’annonce positive de Nicolas Sarkozy en direction de la médecine de proximité, c’est-à-dire de la médecine libérale. Cela peut signifier plusieurs messages. Les directeurs d’ARS vont avoir l’obligation, dans la constitution des SROS [schémas régionaux d’organisation sanitaire] , de dialoguer avec les partenaires médicaux. Ils ne pourront pas passer en force. Il est également impératif que le dialogue conventionnel reprenne sur de bonnes bases. Il y a le règlement arbitral de Bertrand Fragonard. Je pense que lui aussi a entendu le message. De toute façon, il va falloir envoyer des signes positifs. »
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