LE QUOTIDIEN : Le thème du 9e congrès de MG France s'intitule « Médecin généraliste traitant, un engagement social, local et durable ». Pourquoi ce choix ?
Dr JACQUES BATTISTONI : Il rappelle que le généraliste, médecin traitant, est un acteur central du système de santé qu'il faut accompagner et dont il convient de développer et valoriser les missions. Face aux difficultés d'accès aux soins, les généralistes sont prêts à s'engager pour que chaque patient puisse localement avoir accès à un médecin et pour répondre aux attentes de la société en termes de santé publique. Mais ce n'est pas tout : avec la crise climatique, nous serons des médecins incomplets si nous ne prenons pas en compte les facteurs environnementaux dans la santé des patients. Nous nous engageons également à faire en sorte que nos cabinets soient écoresponsables.
Quels messages souhaitez-vous adresser à la nouvelle ministre de la Santé ?
Les acteurs des soins primaires, et en particulier la médecine générale, sont prêts à jouer pleinement leur rôle et à s'engager. Mais, pour cela, il faut qu'enfin les pouvoirs publics leur donnent les moyens de ces ambitions au travers, notamment, de la prochaine convention médicale.
Les urgences vivent une crise sans précédent. Une mission flash doit rendre fin juin ses propositions. Qu'en attendez-vous ?
Cette mission doit mettre en avant plusieurs solutions que MG France défend depuis un certain temps. Il s'agit par exemple d'intégrer le samedi matin dans la permanence des soins ambulatoire (PDS-A) ou encore d'aménager les horaires de garde. On sait que les cabinets libéraux ont du mal à absorber les demandes qui affluent à partir de 18 heures. En faisant débuter les gardes dès la tranche horaire 18h-20h, on éviterait un afflux en fin de journée, souvent brutal pour de nombreux généralistes qui sont aujourd'hui plus âgés et ont besoin de souffler.
Une autre de nos propositions concerne la régulation des demandes de soins non programmés, qui suppose des moyens supplémentaires. Il faudrait revaloriser les tarifs de l'avenant 9 afin d'avoir davantage de régulateurs. Nous demandons aussi que l'entrée aux urgences soit régulée. Je sais que cela représente une charge de travail supplémentaire pour les régulateurs des Centres 15 mais il faudra y arriver progressivement car c'est indispensable ! Bref, des solutions existent et il faut aller vite. Mais, les médecins de ville ne sont aucunement responsables de cette crise, comme je l'entends ici ou là.
Le service d'accès aux soins (SAS) a été présenté comme l'une des réponses à l'engorgement des urgences. Où en est-on ?
Difficile de répondre. Cela coince par endroits car le fonctionnement est très hétérogène selon les sites pilotes. Il existe un problème persistant d'équilibre dans la gouvernance du dispositif entre le Centre 15 et les médecins de ville. Je demande que le Samu ne s'occupe pas de la façon dont nous organisons les soins non programmés. Cela suppose que nous soyons autonomes. Dans cette gouvernance, qui devra représenter la médecine de ville ? Pour moi, le représentant le plus légitime des libéraux est la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Là où il n'y en a pas encore, il faut qu'au niveau des bassins de vie, les généralistes se réunissent pour préciser ce que sera la mission d'accès aux soins de leur future CPTS afin de participer au SAS.
L'autre difficulté concerne l'effection. Ce qui a été prévu dans l'avenant 9 ne fonctionne pas. Le système de forfaits prévu pour rémunérer les soins non programmés est bizarre et la future convention médicale devra en faire le bilan. Dans un but d'équité, nous demanderons que les généralistes puissent appliquer, comme pour les spécialistes, la majoration correspondant urgence (MCU) quand ils sont appelés par la régulation médicale.
Êtes-vous d'accord pour partager avec les hospitaliers « l’obligation collective de résultat en matière permanence de soins », comme ils le demandent ?
Cette obligation collective de résultat existe déjà pour les CPTS dont la première des missions est l'accès aux soins. Mais attention, il faut y aller progressivement en tenant compte de l'âge des effecteurs et en évitant d'agiter le chiffon rouge ! Sinon, on risque de décourager les professionnels et de voir des médecins proches de la retraite aller chercher un poste de salarié. Quant à l'idée d'une régulation à l’installation dans les zones surdenses, parfois avancée, je rappelle qu'il n'y a plus d’endroits trop pourvus… On prétend trouver des solutions simples à des problèmes complexes, c'est ridicule.
Vous allez négocier à partir de la rentrée une nouvelle convention médicale avec l'Assurance-maladie. Quelles sont vos priorités ?
Il faut impérativement que les conditions d'exercice et les revenus de la médecine générale libérale redeviennent attractifs. Aujourd'hui, cette filière est en danger. Les étudiants la choisissent peu ou pas du tout car elle moins attractive que le salariat.
Pour changer la donne, nous demandons une équité de revenus entre généralistes et spécialistes. À contrainte et temps de travail équivalents, il ne doit plus y avoir d'écart. La médecine générale doit aussi avoir des moyens pour travailler confortablement en embauchant des collaborateurs en nombre suffisant. Nous avons soutenu le dispositif des assistants médicaux. Aujourd'hui, il faut aller plus loin en donnant la possibilité à chaque médecin d'avoir un assistant médical, en proposant un système d'embauche plus souple, à l'instar du modèle des infirmiers Asalée.
ll faudra aussi valoriser les actes « complexes », qui sont de plus en plus l'apanage du généraliste traitant, ainsi que le temps de coordination avec d'autres professionnels comme les IPA [infirmières en pratique avancée]. Bref, la future convention doit être un moteur du changement.
MG France mettra-t-il la hausse du C au rang de ses priorités ?
Ce n'est pas le cœur de notre combat. Mais l'acte de base est à 25 euros depuis 2016 et il doit être revalorisé, d'autant plus avec le retour de l'inflation. Je ne vois pas comment il peut être inférieur à 30 euros dans la prochaine convention. En tout cas, ce nouveau contrat devra impérativement envoyer un signal clair aux médecins traitants pour qu'ils suivent davantage de patients. Or, le mode de rémunération influe sur les comportements. Rémunérer les généralistes très majoritairement à l'acte ne les incite pas à être médecin traitant de davantage de patients. Pour nous, la rémunération forfaitaire conventionnelle et en particulier le forfait patientèle du médecin traitant le permet. L'objectif est donc aussi d'augmenter ce forfait.
Vous soutenez les équipes de soins coordonnées autour du patient (Escap). Mais aucune négociation n'est engagée avec la Cnam. Pourquoi ça coince ?
L'exercice coordonné se construit progressivement. L'Escap permet aux professionnels de partager la prise en charge d'un patient en utilisant les outils numériques. Mais visiblement, le simple fait d'avoir un outil partagé ne suffit pas aux yeux de la Cnam pour définir les soins coordonnés ! Il faudrait donc trouver un moyen peu contraignant pour matérialiser l'engagement commun de l'équipe envers un patient. Je pense que les professionnels devront donner un contenu à cette coordination libérale en listant simplement ce que chacun fait.
Des pharmaciens bretons expérimentent la prise en charge directe de petits maux du quotidien. Qu'en dites-vous ?
Ce qui est important est de définir un cadre de coopération. On ne doit pas le faire à l'insu d'une autre profession sans le lui dire. Nous resterons très vigilants sur l'évolution de cette expérience. Je ne suis pas sûr qu'elle offre toutes les garanties nécessaires.
Plusieurs professions prescrites comme les infirmiers ou les kinés réclament une évolution des contours de leurs métiers et une montée de leurs compétences. Y êtes-vous favorable ?
Il est légitime que les infirmiers et les kinés aient envie de voir leur profession évoluer vers des pratiques avancées. Mais le cadre de travail en coopération est très important. C'est pourquoi MG France appelle de ses vœux des accords interpro entre deux professions sur des sujets qui concernent les généralistes, notamment avec les pharmaciens sur le dépistage ou la vaccination.
L'exercice en équipe est plébiscité par la jeune génération. La notion d'équipe traitante a-t-elle plus de sens que celle du médecin traitant ?
Cela n'a aucun sens ! Entre un patient et un médecin, il y a une relation thérapeutique personnalisée. En outre, le médecin traitant a une relation contractuelle avec l'Assurance-maladie. C'est bien en fonction du nombre de patients inscrits qu'elle le rémunère. Est-ce que ceux qui réclament une équipe traitante veulent aussi une rémunération collective ? Ce n'est pas notre souhait.
En tout cas, je souhaite qu'on mette toute l'énergie nécessaire pour permettre aux généralistes de répondre à l'exigence légitime de la population qui est d'avoir un médecin traitant, plutôt que de « bricoler » des solutions qui n'en sont pas comme les pharmaciens référents ou les infirmiers référents imaginés par Emmanuel Macron.
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