Responsabilité médicale

En Italie, un médecin sur deux

Publié le 12/11/2009
Article réservé aux abonnés

DE NOTRE CORRESPONDANTE

SELON UNE ÉTUDE réalisée par l’Ordre des médecins italiens, l’Institut supérieur de la santé et l’université Roma 3, un médecin sur deux a été « condamné » pendant sa carrière. Un chiffre qui a fait très peur aux Italiens, car dans l’échelle des erreurs, les chirurgiens seraient ceux qui se trompent le plus fréquemment. Puis, dans l’ordre, les orthodontistes, les orthopédistes, les gynécologues, les chirurgiens esthétiques et enfin les ophtalmologues.

« Comment reprocher aux Italiens de vouloir se faire soigner à l’étranger dans de telles conditions », analyse Alessandro Sabatini. Médecin de quartier spécialisé en chirurgie esthétique, ce qui lui permet d’arrondir ses fins de mois grâce au Botox et à l’acide hyaluronique, ce jeune toubib à la quarantaine joviale explique les raisons du palmarès des médecins bonnet d’âne.

« Le mot condamné n’est pas vraiment exact. Je parlerais plutôt d’impliqué juridiquement », détaille Alessandro Sabatini. Selon ses explications, très peu de cas seraient jugés au pénal. Il faut en effet qu’un médecin ait commis une erreur très grave, comme « tuer un malade ou le transformer en légume », explique Alessandro Sabatini. En revanche, les malades portent très facilement plainte pour une banale erreur ( « Je peux par exemple trop tirer un sourcil en faisant une injection de Botox et mon patient porte immédiatement plainte », raconte Alessandro Sabatini) et la partie se joue alors au civil.

Transactions.

Généralement, la plupart des affaires sont rapidement bouclées grâce à une transaction. Les assurances réussissent à convaincre le médecin qu’il vaut mieux payer la somme réclamée par le patient plutôt que de payer un avocat. Et, surtout, d’affronter une affaire qui risque de traîner pendant des années, la justice italienne étant particulièrement lente. Face au nombre élevé de transactions, qui peuvent parfois se limiter au versement d’un chèque de 500 euros, les auteurs de cette étude ont déduit qu’un médecin sur deux a été condamné. « En fait, cette étude part du fait que dans 50 % des cas, une petite contrepartie a été payée pour calmer la colère d’un patient. L’affaire n’est pas passée devant un tribunal mais un médecin sur deux a payé. Donc il a été condamné. C’est une façon de simplifier les choses », conclut Alessandro Sabatini. « La plupart des affaires qui finissent à la une des journaux ne sont jamais jugées. Les assurances arrivent toujours à calmer le jeu et récupèrent ce qu’elles versent aux patients pour couvrir la soi-disant erreur d’un médecin en augmentant le montant annuel des couvertures », ajoute GianPiero Milano, professeur de médecine à la faculté de Roma-3.

Si les assurances et les patients qui portent plainte trouvent leur compte dans ces transactions, en revanche la facilité avec laquelle les Italiens se tournent vers les tribunaux suscite maintenant beaucoup d’inquiétude côté blouses blanches. Car en l’espace de cinq ans, le nombre de plaintes déposées devant les tribunaux civils a augmenté de 65 %. « Quand j’examine un patient, je sens le souffle rauque d’un juge sur ma nuque », ironise Umberto Canale. Du coup, ce médecin qui travaille dans un hôpital de la banlieue romaine multiplie les examens pour éviter qu’on lui reproche un jour une erreur de diagnostic. «  Quel gâchis, quel coût pour la sécurité sociale italienne ! Pour une simple douleur abdominale, je prescris une coloscopie, un électrocardiogramme et une radio des bronches. J’ai presque tendance à en rajouter », confie Umberto Canale.

Dans un contexte qui porte préjudice aux blouses blanches, l’Ordre des médecins préconise maintenant la création d’un « super ordre des consultants juridiques pour évaluer les dossiers rédigés par les experts assermentés et éviter qu’une expertise gynécologique soit faite par un orthodontiste ». Une proposition qui risque toutefois de rester lettre morte, la justice italienne ayant pour le moment beaucoup d’autres chats à fouetter, à commencer par une remise à plat de la durée des procès en général.

ARIEL F. DUMONT

Source : lequotidiendumedecin.fr