› D. CH.
« Quelques dizaines d’heures consacrées à la pharmacologie durant les études »
Le Pr Bernard Bégaud, pharmacologue, souligne l’insuffisance de la formation des médecins aux questions concernant le médicament. Or, insiste-t-il, le praticien est toujours responsable de sa prescription.
LE QUOTIDIEN - Les médecins français ont-ils une bonne connaissance des médicaments et de leurs effets secondaires?
Pr BERNARD BÉGAUD - Les médecins français sont très insuffisamment formés à la prescription rationnelle, la pharmacovigilance et la prise en charge des effets indésirables. Quelques dizaines d’heures seulement sont consacrées à la pharmacologie durant les études médicales. Pourtant, les questions posées sont essentielles. Faut-il prescrire ou ne pas prescrire ? Comment choisir le médicament ? Comment surveiller les risques ? Certaines facultés n’abordent pas du tout la pharmacovigilance. Le manque de culture de santé publique caractérise notre pays. Pour ne pas allonger le cursus, on a réduit les cours de pharmacologie, victime du progrès technique sans penser du tout au geste de base de la prescription, que le médecin, pourtant, fait tous les jours. Face à sa première ordonnance, le jeune médecin applique ce qu’il a appris, c’est-à-dire pas grand-chose dans ce domaine. Il est démuni. Quand je me suis installé, je n’avais jamais eu de cours sur la pilule contraceptive. Mes premières patientes voulaient la pilule, j’ai donc regardé le Vidal. C’est sans doute mieux aujourd’hui, mais la situation est tout de même ubuesque. Heureusement il y a Internet, la presse, les enseignements post-universitaires.
La formation continue offre-t-elle un bon palliatif ?
Il existe très peu de programmes de formation à la pharmacovigilance et à la prescription rationnelle (lire aussi page 4). Ce qui est proposé est insuffisant, sans compter le problème, non réglé, des conflits d’intérêt avec les laboratoires. Recevoir un minimum de formation continue à la prescription n’est pas une obligation légale. Pourtant, si on présente ces programmes de façon séduisante, les médecins s’y précipiteront. L’attente est d’autant plus forte depuis la grippe A et le Mediator.
La France s’illustre par sa très forte consommation de médicaments. Est-ce à mettre sur le compte de ce manque de formation médicale ?
Notamment. Des facteurs économiques jouent aussi. Aux États-Unis, une prescription que la mutuelle ne trouvera pas justifiée ne sera pas remboursée. En comparaison, la France est un pays magnanime. L’assurance-maladie établit des profils de médecins sur des critères économiques, mais il n’y a pas d’évaluation scientifique des prescriptions. Le médecin peut se faire avoir par une publicité mensongère ou une information tronquée, il faudrait corriger cela avec des gens indépendants. Les accords de bon usage du médicament peuvent servir de guide s’ils sont bien faits. Celui sur les antibiotiques est l’exemple à suivre. Celui sur les statines est discutable : personnellement, je ne suis pas d’accord avec les règles édictées. La France est la championne des prescriptions d’antidépresseurs. Pas toujours à bon escient : 50 % des gens qui ont une dépression avérée ne sont pas traités par antidépresseur, et 50 % des gens sous antidépresseur n’ont jamais vécu un épisode dépressif justifiant un traitement (selon le questionnaire MINI). Folie sanitaire. Les médecins devraient tous être au clair avec ces chiffres.
Avec l’affaire Mediator, les prescriptions hors AMM sont pointées du doigt. Sont-elles évoquées durant les études médicales ?
Très peu. La responsabilité des médecins qui prescrivent hors AMM ne l’est pas davantage, alors que c’est un sujet majeur. Les médecins ne sont pas assez conscients des risques qu’ils prennent lorsqu’ils prescrivent. Leur assureur peut ne pas les couvrir s’ils n’ont pas respecté l’AMM. Le risque est également pénal. J’ai été expert dans plusieurs affaires où un médecin avait prescrit en toute bonne foi, et dans certains cas à juste titre, hors AMM. Un événement indésirable grave était survenu, attribué à tort ou à raison au médicament. En tant que spécialiste de l’imputabilité, je précisais qu’il y avait deux chances sur trois, mais pas plus, que ce soit lié au médicament. Mais pour le juge, ce qui comptait, c’est que la prescription était hors AMM. Il faut savoir cela. La justice fonctionne sur des bases culturelles qui ne sont pas du tout les nôtres. Les juges ne comprennent pas, ils se focalisent sur les indications officielles. La sanction peut être très lourde. Le médecin doit être vigilant, et ne prescrire hors AMM que lorsque le pronostic vital est engagé. C’est-à-dire rarement : 90 % des prescriptions hors AMM concernent des médicaments de confort. Il existe plus de 4 000 produits différents en France, c’est bien assez.
Ce qui est nouveau avec le Mediator, c’est le nombre de procès potentiels.
En effet. Tous ceux qui en ont pris, qu’ils aient une valvulopathie, ou qu’ils craignent d’en développer une, peuvent porter plainte. Il faudra apporter la preuve de l’absence de lien entre la prescription et l’événement, ce qui est très difficile en pharmacovigilance. Il y a déjà eu des affaires mais jusqu’à présent, le patient avait peu de chance d’obtenir gain de cause. Il y a eu peu d’indemnisations dans l’affaire du vaccin contre l’hépatite B, de nombreuses victimes ont été déboutées. On pouvait toujours rétorquer aux gens que le vaccin était légitime pour les protéger d’un cancer hépatique. Le Mediator a été présenté comme dangereux, sans intérêt thérapeutique. Ceux qui en ont pris sont nombreux. Cela peut tout changer, faire jurisprudence, et conduire à une américanisation du système, pour la première fois.
Deux lois datant de 1984 et 1995 obligent les médecins à déclarer les effets indésirables liés aux médicaments. Le font-ils ?
Le système est alimenté à 80 % par les CHU. Les médecins généralistes participent très peu, alors qu’ils sont en première ligne. Il ne faut pas leur jeter la pierre. Le généraliste a l’impression que c’est bureaucratique, que ça ne sert à rien. Remplir une fiche de déclaration sur Internet prend cinq à dix minutes, le temps moyen d’une consultation pour beaucoup de généralistes qui se disent « tant pis, j’en parlerai au visiteur médical ». Il faut trouver une solution à ce problème qui peut amener les praticiens devant la justice. J’ai connu un médecin poursuivi pour un effet indésirable grave alors qu’il avait respecté l’AMM. À l’époque, je dirigeais un centre régional de pharmacovigilance : le juge m’a demandé si ce cas m’avait été déclaré. Ce n’était pas le cas. Pour le juge, cela a été un facteur aggravant. Le médecin a été condamné. Même lorsqu’on respecte l’AMM, on est responsable de sa prescription.
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