Il y a quelque chose du fin limier chez cet homme. De l’obsessionnel aussi, du genre à ne pas lâcher l’affaire tant qu’il n’aura pas estimé le dossier clos. Et en la matière, on peut légitimement soupçonner le Dr Olivier Walusinski de s’amuser à ouvrir sans cesse des portes, poussé tant par une curiosité insatiable que par le plaisir de se distinguer. Ne pas se fier à son physique à la Jacques Tati, ce médecin généraliste de 69 ans creuse son sillon avec une opiniâtreté et une énergie qui font de lui, aujourd’hui, l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de la neurologie. « À la bibliothèque de la Faculté de médecine, à Paris, je suis connu comme le loup blanc », glisse-t-il, gourmand. Et Olivier Walusinski n’a pas attendu d’être à la retraite pour reprendre ses études. Il y a bien longtemps qu’il dévide la pelote des savoirs, en bon généraliste qu’il est, au propre comme au figuré.
« L’idéal de la médecine »
Né à Paris en 1949, de parents enseignants, Olivier Walusinski se souvient avoir toujours voulu comprendre comment fonctionne son corps. Il choisit donc médecine. Mais pas n’importe laquelle, la générale, et pas n’importe où, à la campagne. « C’était peut-être un mythe, mais médecin de famille à la campagne représentait, pour moi, l’idéal de la médecine », raconte-t-il. Après son internat à l’hôpital de Chartres (Eure-et-Loir), il décide, à la faveur d’un concours de circonstances, de s’installer à Brou, une localité de 3 500 habitants située, indique-t-il avec ce souci de la précision qui le caractérise, à 40 km au sud-ouest de Chartres, 33 km à l’est de Nogent-le-Rotrou et 25 km au nord de Châteaudun.
Bref, en 1976, il devient Broutain en même temps que médecin généraliste. Mais un praticien pas banal. Car avant de jeter son dévolu sur le Perche, il a roulé sa bosse de services en « consultations de porte ». En touche-à-tout avide de compléter ses connaissances et de se familiariser avec les nouvelles technologies, il ne rate pas une occasion de se former. « Ce dont je suis le plus fier, c’est le DIU d’échographie que j’ai obtenu en 1994, au terme de deux années durant lesquelles j’ai bossé comme un fou, sans prendre un seul jour de congés. » Et sans arrêter ses consultations !
Jour et nuit
Le Dr Walusinski n’est pas homme à s’économiser. « Durant les quarante ans où j’ai exercé, le téléphone est resté sur la table de nuit et j’ai toujours répondu à tous les appels. Dès lors qu’un patient vous fait confiance, il faut répondre présent, 24 heures sur 24. » Vieille école ? Il ne cache pas son incompréhension quand on l’interroge sur la réticence actuelle des jeunes médecins à repeupler les déserts médicaux. « Certes, les temps ont changé, mais moi, mon but, c’était de m’occuper des patients complètement, de la pédiatrie à la gériatrie. À l’époque, il y avait peu de spécialistes dans le département, c’est comme ça que j’ai été amené à avoir une pratique extrêmement large, accouchements inopinés compris. »
Sans compter que ses intérêts sont vastes. À l’orée des années 1990, le voilà sapeur-pompier, lesté d’un bip d’appel, et correspondant du SAMU pour le canton, avec véhicule tout équipé. « J’ai réussi à dégoûter mes quatre enfants de faire des études de médecine », commente-t-il, pince-sans-rire. Un moindre mal quand on sait que ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg !
« Quelqu’un d’exceptionnel »
En 1978, l’existence du Dr Walusinski prend en effet un tournant décisif. Cette année-là, il reçoit un trentenaire qui bâille une fois par minute. Il en reste bouche-bée, mais piqué au vif de s’être montré ignorant. Le bâillement vient d’entrer dans sa vie. Il se remet à l’anglais, s’offre, dès 1983, l’un des tout premiers ordinateurs du département et, surtout, s’intéresse pour la première fois à la neurologie. « Mon amour pour l’histoire de la neurologie est née parallèlement à mes recherches sur le bâillement », précise-t-il.
Lui qui a pris l’habitude de s’accorder un jour de libre dans la semaine pour se perfectionner assiste bientôt régulièrement aux staffs organisés à l’hôpital parisien de la Salpêtrière par les neurologues Olivier Lyon-Caen et Yves Agid. « Nous étions très étonnés de voir ce médecin généraliste venir chaque semaine s’instruire, on s’était dit que c’était vraiment quelqu’un d’exceptionnel », témoigne le Pr Agid, membre fondateur de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à Paris. Exceptionnel, de fait : de lectures en conférences, Olivier Walusinski est aujourd’hui considéré comme « une figure importante de la neurologie française », estime Yves Agid. « L’histoire de cette discipline est globalement négligée en France, poursuit-il. Or, avoir cette culture est capital pour faire des découvertes. Avec son travail, Olivier Walusinski a ajouté un peu d’intelligence à la médecine. »
« Tout savoir »
Il a ainsi exhumé des documents ignorés, à l’instar des archives du neurologue Gilles de La Tourette (1857-1904) à qui il a consacré une biographie, dont la traduction vient de paraître aux Etats-Unis. « La médecine générale mène à tout si l’on est curieux et observateur », dit-il, avant de citer l’exemple d’Augustin Morvan (1819-1897). Après des études à Paris, ce médecin généraliste était retourné dans sa Bretagne natale, où ses nombreuses découvertes lui ont permis de devenir le correspondant de l’Académie de médecine. « Je me trouve beaucoup d’affinités avec lui », souligne-t-il.
Répertorier, accumuler, étudier, c’est bien, mais demain ? Le Pr Agid lui conseille de « faire des émules ». À la tête d’une collection de plus de 1 000 livres, sans compter les instruments, l’intéressé n’a pas l’air de s’en soucier, tout occupé à sa prochaine biographie, consacrée à Paul Richer (1849-1933), neurologue et illustrateur, proche de Charcot. Ce qui l’anime ? « Tout savoir, même si c’est une illusion. » En juin 2014, il a pris sa retraite sans trouver de remplaçant. Sans regrets non plus.
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