Le Dr Jacques Sicard, 57 ans, était depuis un bon moment fatigué de prendre des tours de garde à répétition dans un secteur où seuls sept médecins généralistes participaient à la permanence des soins.
Il y a deux ans, il avait connu un épisode de burn-out de six mois, et depuis peu, l’idée germait dans son esprit de copier l’organisation du département d’Indre-et-Loire voisin dans lequel, en accord avec les autorités de tutelle, la PDS libérale ne fonctionne que les week-ends, l’hôpital se chargeant des plages horaires de semaine. De plus, voici un mois, l’un des généralistes couvrant avec le Dr Sicard le même secteur de garde a fait un grave infarctus, privant la PDS locale d’un de ses rares acteurs. « Les généralistes du secteur de garde et moi-même avons écrit au préfet, raconte Jacques Sicard, pour lui dire que nous ne pouvions plus assurer les gardes de semaine dans ces conditions. Pour ma part, j’ai ajoutéque si je recevais une seule réquisition supplémentaire, je dévisserais ma plaque dans la foulée. Cela fait 28 ans que je travaille 12 à 14 heures par jour et que j’assure la PDS. J’estime qu’à mon âge, je n’ai pas en plus à travailler le soir jusqu’à minuit ». Selon l’Atlas de la démographie de l’Ordre des médecins, on décompte dans le département 412 généralistes, pour une densité moyenne de 78,9 médecins pour 100 000 habitants. L’âge moyen de ces praticiens est de 52,8 ans et 52 % d’entre eux ont plus de 55 ans.
Signal d’alarme.
Pendant les deux premières semaines qui suivent le courrier adressé au préfet, tout se passe tranquillement. Puis brutalement, mercredi 14 avril vers 18 heures, des gendarmes se présentent au cabinet du Dr Sicard pour lui remettre une réquisition préfectorale pour le vendredi suivant. « J’avais prévenu le préfet, commente sobrement Jacques Sicard qui a déjà fait l’objet de plusieurs dizaines de réquisitions au cours de son activité professionnelle, et dèsle lendemain j’ai dévissé ma plaque ».
Ce n’est pourtant pas faute, selon lui, d’avoir tiré la sonnette d’alarme. Outre le préfet, le Dr Sicard avait informé l’Ordre départemental qu’il cesserait toute activité libérale s’il était à nouveau réquisitionné.
S’il se sent parfois amer aujourd’hui, ce n’est pas d’avoir dévissé sa plaque, mais de constater que ses mises en garde n’ont pas éveillé les consciences. Car pour le reste, il ne regrette rien. « J’ai une activité salariée à mi-temps dans un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) , et je n’ai qu’à lever le petit doigt pour en trouver une autre, ajoute-t-il. Je gagnerai autant qu’en libéral sans avoir toutes les contraintes et tracasseries dont on nous abreuve ».
Les récentes annonces du président de la République (sur le C à 23 euros, le CS et la mission confiée à Élisabeth Hubert sur la médecine de proximité) ne seraient-elles pas de nature à le faire revenir sur sa décision ? « Personne ne prend la mesure de notre écurement, répond-il. La médecine libérale n’a plus besoin d’un énième chantier, elle a besoin d’actes. Ceux qui nous accusent d’être une profession de nantis ne s’étonnent même pas qu’il n’y ait personne pour prendre la relève. J’espère que ma décision ouvrira les yeux des politiques ». Une manifestation de soutien organisée par ses patients est prévue devant son cabinet vendredi 23 avril à 17 heures.
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