Face aux mutations technologiques (IA, télémédecine), professionnelles (travail en équipe, féminisation) et aux aspirations sociétales (recherche d'équilibre entre vie privée et vie professionnelle), l'Académie nationale de médecine s'est employée à redessiner le rôle et la place du médecin généraliste dans la société française au XXIème siècle. Fruit de 64 auditions pendant deux mois (auprès d'étudiants, médecins, syndicats, institutionnels), l'avis a été adopté en février sous la houlette du Pr Guy Vallancien, rapporteur du groupe de travail.
Interniste ambulatoire
Écartant deux scénarios radicaux voire provocateurs (la « disparition » du généraliste sous la pression d'autres professionnels de santé aidés par l’IA et les patients informés et l'« éclatement du métier » du médecin de famille devenant au besoin pédiatre, gériatre, gynécologue, andrologue ou autre spécialiste), l'Académie en retient un troisième : l'évolution vers une « fonction globale de synthèse », en véritable « assembleur de la multitude d’actes réalisés en partage avec les autres spécialistes et soignants », de « confident personnel du patient » au sein de son environnement tout au long de son parcours de soins et de prévention pour la population générale.
L'avis affirme ainsi rôle central de « coordonnateur » du généraliste, , au sein d'une équipe traitante. Le praticien « agira en véritable médecin interniste ambulatoire, remplissant le rôle d’assembleur des prestations à mener auprès de chaque patient », indique l’avis.
Dans cette perspective, le médecin devra intégrer dans l'organisation de son exercice « plus de temps pour discuter et expliquer au patient ce qui lui arrive et le chemin à suivre », après avoir effectué la synthèse des actes réalisés par les autres professionnels. Ce temps médical devra inclure le soin, la prévention et le suivi.
Zéro paperasse, actes à déléguer…
Pour assurer cette mission, le médecin devra « récupérer » beaucoup de temps médical. D'où la nécessité de « réduire massivement les tâches administratives » et du remplissage de la « majorité des certificats ». Les rendez-vous et le recours aux examens d’imagerie, de biologie et autres investigations seraient confiés « aux assistants administratifs » dans le cadre d’une véritable « conciergerie sanitaire ». À eux de traiter aussi les documents réclamés par les organismes payeurs.
Le recours à l’informatisation maximale des procédures est aussi recommandé, de même que l’« utilisation de la télémédecine sans limite de pourcentage de consultations, ni de distance ».
Au programme ensuite le « transfert » à d'autres professionnels de santé de certains actes diagnostiques et thérapeutiques d’affections aiguës bénignes, de suivis des pathologies chroniques stabilisées et donc du remplissage des certificats en tous genres. L’expérience de l’ARS Bretagne autorisant 50 pharmaciens à diagnostiquer et prescrire pour 13 pathologies bénignes est citée en exemple préfigurateur. « Un tel transfert d’actes, loin de déclasser le praticien, valorisera sa pratique dans une démarche holistique de médecin assembleur et non plus de médecin uniquement traitant », défend l'Académie.
Tel « un joueur au centre du terrain », « pilier de l'équipe soignante », le généraliste du futur coordonnera « les différentes interventions des autres professionnels de santé » mais « sans prédominance de son pouvoir sur eux ». À ce titre, l'avis propose l’augmentation du nombre d’infirmiers en pratique avancée (IPA) intégrés dans le groupe médical en vue de constituer de véritables « équipes référentes » répondant aux besoins locaux.
Consultations avancées et bus santé
Grâce au temps médical ainsi regagné, le généraliste du futur pourrait assurer des « consultations avancées multisites » dans les petites communes en manque de médecins. Les médecins se déplaceront « à tour de rôle à la semaine » soit dans les mairies elles-mêmes, ou au sein de locaux mis à leur disposition.
Le déploiement des « bus santé » avec bureau médical et salle d’examen, cofinancés par les communes, en complément des cabines de téléconsultation installées dans les pharmacies locales sont aux yeux de l'Académie autant de leviers pour lutter contre la désertification médicale.
À la faveur de ces évolutions, l'Académie estime que le généraliste pourrait suivre « une file active médiane de plus de 1 500 patients en partage d’actes avec les autres soignants », sur la base d’une moyenne de « 4,5 à 5 jours d’exercice par semaine », répartis en demi-journées.
Nouveau mix de rémunération
Le schéma de la rémunération du médecin généraliste libéral – basé sur un paiement prédominant à l'acte dont l'Académie pointe la « faiblesse » et des forfaits – devrait évoluer significativement.
L'Académie propose de combiner une « part de capitation » (indexée sur le nombre de patients suivis), de « forfait journalier » (pour l'activité clinique), de « salaire » (activité d’assemblage et de coordination) et de paiement à l'acte. Ce dernier mode de rémunération, toujours très majoritaire aujourd'hui (87 % contre 13 % de forfaits) persisterait mais « uniquement pour certains gestes techniques non répétitifs types petites urgences (pansements, attelles, sutures) ou autres ». En revanche, la rémunération globale devrait être réévaluée. « Compte tenu de l’ampleur de son action et de sa responsabilité, le montant de la rémunération du médecin généraliste devra au moins rejoindre celui de la moyenne des spécialistes techniques », peut-on lire.
Côté financier, l'Académie milite pour des « aides pérennes » à la création et au fonctionnement des maisons de santé pluriprofessionnelles et centres de soins, à la faveur d'investissements massifs « sans saupoudrer les financements dans des projets insignifiants et temporaires ».
45 heures par semaine et non plus 56 !
Enfin, l'avis n'oublie pas la question de la formation initiale et continue. L'Académie plaide en faveur d'une nouvelle révision des études de médecine toutes spécialités confondues – « tant dans leur durée trop longue que dans les matières enseignées et dans les stages pratiques ». La sélection ne devrait plus reposer sur les seules sciences dures mais intégrer « les qualités humaines et organisationnelles des candidats », ce qui est déjà un des objectifs de la réforme de l'accès aux études de santé.
Combien de médecins faudra-t-il former ? En prenant en compte le chiffre de 50 000 médecins pratiquant à plein temps et exclusivement la médecine générale (hors MEP) pour 68 millions de personnes, « il faudrait un généraliste pour 1 350 habitants », calcule l’Académie. « Compte tenu d’une amplitude horaire de travail de 40 à 45 heures par semaine et non plus de 56 heures ou plus comme actuellement, il faudra augmenter le nombre d’étudiants pour assurer une couverture suffisante sans aller forcément jusqu’à le doubler compte tenu de la croissance d’activité des autres professionnels de santé », évalue l'avis.
Quant à la formation continue, via le développement professionnel continu (DPC), l'Académie recommande que dix journées par an soient dévolues à l’information « sur les progrès réalisés dans les différents domaines des spécialités, des normes et règlements de santé publique et de l’avancement des procédures numériques ».
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