AU LENDEMAIN du rapport de la cour des Comptes pointant du doigt des dépenses de médicaments « structurellement élevées » dans notre pays, et juste avant l’examen par le Parlement du projet de loi sur le médicament et du budget 2012 de la Sécurité sociale, la suggestion du député UMP et chirurgien Jacques Domergue de récompenser les médecins très économes en prescription a fait grand bruit.
« La France reste un des pays les plus forts consommateurs de médicament », argumente le Pr Domergue qui met les pieds dans le plat : « une piste d’économies consisterait à récompenser les médecins dont les consultations médicales ne donneraient pas lieu à prescription ». Interrogé par « Le Quotidien », le député de l’Hérault souligne que, selon ses chiffres, « une consultation à 23 euros conduit en moyenne à environ 80 euros de prescriptions, tant en médicaments qu’en imagerie ou en analyses biologiques ». « Mon idée, ajoute-t-il,c’est de dire aux médecins que s’ils ne prescrivent pas, ils pourront facturer leur consultation plus cher, peut-être même le double. On fait beaucoup trop de bilans et d’examens, et on donne trop de médicaments, notamment aux personnes âgées ». Dans son esprit, une consultation longue permet souvent d’en savoir autant sur le patient qu’une batterie d’examens ; elle permet aussi de mieux cerner le malade et d’éviter les prescriptions inutiles. Si bien que le député de la majorité promet de déposer dans le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) pour 2012 un amendement visant à lancer une expérimentation de ce type « durant deux ou trois ans dans une région française ».
Pas opérationnel.
« C’est une pantalonnade », fulmine le Dr Michel Chassang, patron de la CSMF, pour qui Jacques Domergue, « chirurgien dans le public, ne connaît rien au dossier ». Le Dr Chassang fait valoir que les prescriptions de ville n’ont jamais été « aussi faibles », à la différence des prescriptions hospitalières délivrées en ville qui ont augmenté de 7,8 % en 2010. Il affirme que le nombre de médicaments sur une ordonnance est directement lié au nombre de pathologies dont souffre le patient. « Payer le médecin qui fait peu de prescriptions, indique-t-il, reviendrait à pénaliser le malade ». Pour le patron de la CSMF, la solution est ailleurs. « Il ne faut pas récompenser les médecins qui prescrivent moins, juge-t-il, mais ceux qui prescrivent mieux, comme cela a été acté dans la convention sur certaines classes thérapeutiques comme les antibiotiques ». Dans le nouveau système de paiement à la performance, que généralise la convention, figurent des objectifs d’optimisation des prescriptions mais aussi de hiérarchisation de certains traitements.
La bonne idée, pour la CSMF, « c’est de revaloriser le tarif des consultations car le système actuel avantage les médecins qui passent peu de temps avec leurs patients ».
Dans la même veine, le SML propose depuis longtemps la mise en place d’actes mieux rémunérés à haute valeur médicale ajoutée (le TEP pour thérapeutique, éducation et prévention), une nouvelle façon d’aborder la maîtrise des dépenses visant à éviter les hospitalisations non indispensables, à développer l’éducation sanitaire, le dépistage et la prévention.
À MG-France, le Dr Claude Leicher reste prudent. « S’il s’agit juste de rémunérer les médecins qui prescrivent moins quantitativement, ce n’est pas une bonne idée, juge le chef de file du syndicat de généralistes. Mais s’il s’agit de mettre en place, comme nous le proposons, des consultations à contenu identifié, comme pour l’aide au sevrage ou les consultations de début de grossesse, qui prennent du temps mais ne débouchent pas toujours sur une prescription, l’idée est intéressante. Ca prend du temps de faire un travail d’explication avec le patient. » À Union Généraliste, le Dr Claude Bronner juge pour sa part que cette « solution n’est pas opérationnelle ». « Il n’est pas faux de dire qu’une consultation longue débouche souvent sur moins de prescription, poursuit-t-il, mais lier durée de consultation et non prescription pour pouvoir facturer plus au patient ne serait pas facile à mettre en œuvre. » Pour le président d’UG, la proposition d’expérimentation régionale du Pr Domergue « amuse la galerie mais ne mène à rien ».
Prescrire moins pour gagner plus est-il contraire à la déontologie ? À l’Ordre national des médecins, le Dr André Deseur fait la part des choses. S’il s’agit d’« élaguer à l’aveugle » le volume de prescriptions « c’est une mauvaise idée, comme l’était le CAPI [contrat d’amélioration des pratiques individuelles] ». « Mais si cette baisse de prescription est étayée par des données scientifiques, comme dans la iatrogénie médicamenteuse des personnes âgées, l’Ordre n’y trouverait rien à redire ».
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