Les résultats de la ROSP 2020 [rémunération sur objectifs de santé publique] subissent les effets de la crise sanitaire. Dans ce contexte, cet exercice 2020 est « extrêmement difficile à lire », explique ce jeudi au « Quotidien » Thomas Fatôme, directeur général de l'Assurance-maladie. L'évolution des indicateurs relatifs aux dosages biologiques et aux actes de dépistage des cancers a été « percutée ».
Après ce cru atypique, qui a obligé la CNAM à des mesures correctrices pour stabiliser les rémunérations versées (dans les prochains jours), le directeur général envisage « un bilan approfondi » de la ROSP, lors des négociations pour la prochaine convention médicale en 2022-2023. Pour autant, assure-t-il, pas question de supprimer cet outil qui « garde pleinement son sens ». Entretien exclusif.
LE QUOTIDIEN : Après deux années de dynamique positive pour la nouvelle ROSP clinique, comment jugez-vous le cru 2020, dans une période exceptionnelle de crise sanitaire ?
THOMAS FATÔME : Très honnêtement, cet exercice est extrêmement difficile à lire parce que le thermomètre que constitue la ROSP pour mesurer l’évolution des pratiques médicales a été largement déréglé, à la fois par l’effet du premier confinement et par celui de l’épidémie elle-même ! Il est impossible de relier la plupart des résultats 2020 avec des évolutions antérieures. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons travaillé avec les syndicats pour ajuster à la marge les rémunérations versées.
Vous ne pouvez donc pas tirer d’enseignements sur le nombre d’indicateurs bien et mal orientés et sur l’évolution des pratiques ?
Encore une fois, c’est une année exceptionnelle qui rend très difficile de faire la part des choses entre ce qui relève d’une action individuelle et collective des médecins libéraux versus ce qui relève de la pandémie.
Prenons deux exemples : les résultats 2020 sur les antibiotiques sont excellents. Mais ce n’est pas enlever un quelconque mérite aux médecins que de dire que c’est lié en partie à la baisse massive d’activité des généralistes lors du premier confinement et au fait qu’on a subi beaucoup moins les pathologies « habituelles » qui justifiaient l’antibiothérapie.
Dans l’autre sens, peut-on reprocher aux médecins d’avoir des indicateurs qui vont dans la mauvaise direction sur le dépistage du cancer colorectal alors qu’on sait que le confinement a très fortement perturbé ces pratiques de dépistage au premier semestre ? Je ne le pense pas.
Quels sont les indicateurs ROSP dont l'évolution a été « percutée », comme le mentionne la CNAM ?
C’est surtout le premier confinement qui a eu un impact considérable avec des reports massifs de soins et l’annulation d’activités programmées non urgentes. Cela a eu un impact négatif direct par exemple sur les dosages biologiques et les actes de dépistage notamment pour les patients diabétiques. C’est aussi le cas pour la surveillance des patients sous traitements antivitamine K. On sait qu’il y a eu à certaines périodes une rupture d’activité médicale et de prescriptions d’examens !
Sur les prescriptions de psychotropes et d’anxiolytiques, le groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE (ANSM-CNAM) a bien documenté l’effet direct de la crise du sanitaire et du confinement.
Tous les dépistages des cancers sont mal orientés…
Oui, mais sur le dépistage du cancer colorectal, on constate un rattrapage partiel au deuxième semestre par rapport à la chute vertigineuse du premier.
Comment expliquez-vous la moindre prescription dans le répertoire des génériques ?
Il faudra approfondir l’analyse mais certains résultats nous laissent perplexes car les années précédentes étaient bonnes sur ce plan. Là, on constate une forme de rechute sur l’indice global de prescription dans le répertoire, qu’on ne sait pas encore analyser à ce stade. Nous travaillons avec les épidémiologistes pour obtenir des éléments de réponse.
In fine, quels autres enseignements tirez-vous en matière de santé publique ?
Ce n’est pas une surprise mais le respect strict des gestes barrières, qu’on promeut depuis longtemps, notamment pendant les épidémies de grippe, est à l’évidence un élément très protecteur qui se traduit de façon spectaculaire sur les épidémies et les pathologies hivernales habituelles et participe d’un moindre recours aux antibiotiques. Les pédiatres et les urgentistes nous le disent. On peut souhaiter que ces bonnes habitudes de prévention durable s’ancrent dans la durée.
Dans ce contexte, quel est le montant moyen individuel pour les généralistes ? Et pour les autres spécialités ?
Le montant moyen par médecin généraliste, au titre de la ROSP MT de l’adulte, atteint 5 091 euros, donc très proche de celui de 2019, qui était de 5 021 euros, ce qui équivaut à 1,39 % de hausse.
La rémunération moyenne est de 2 093 euros par cardiologue rémunéré [2 124 euros pour 2019] et de 1 423 euros par gastro-entérologue [1 417 euros en 2019]. Pour les endocrinologues, la ROSP sera de 1 264 euros [1 125 euros en 2019].
Pour les médecins traitant de l’enfant, nous serons assez proches des montants de 2019, avec 221 euros en moyenne. Enfin, le forfait moyen versé aux centres de santé est de 7 578 euros, contre 7 774 euros l’an dernier.
Comment avez-vous construit les mécanismes de compensation permettant de neutraliser les effets négatifs de la crise sanitaire ?
On a beaucoup travaillé avec les représentants syndicaux. Nous n’avons pas accepté les demandes de neutraliser tous les indicateurs qui allaient dans le mauvais sens et de ne garder que ceux qui allaient dans le bon sens. Certaines évolutions à la hausse ou à la baisse sont souvent difficiles à comprendre ou à imputer à des causes internes ou externes. Faire un tri nous a paru extrêmement compliqué.
Nous avons donc procédé à des ajustements limités, qui n’ont pas pour effet de déstructurer la ROSP et qui tiennent compte du contexte exceptionnel. Pour les médecins traitant de l’adulte, nous avons finalement appliqué un coefficient majorateur de +2 % pour neutraliser l’effet des indicateurs impactés par la crise et prendre en compte l’évolution favorable de la patientèle. Ce coefficient est de +3 % pour les médecins traitants de l’enfant.
Par ailleurs, nous avons appliqué une logique de « clause de sauvegarde » pour les gastro-entérologues et les cardiologues, afin d’assurer le maintien de leur rémunération en 2020, par rapport à 2019. Ces corrections sont simples et lisibles et n’engagent pas l’avenir de la ROSP dans un sens ou dans un autre.
Est-ce suffisant pour valoriser les efforts ? Certains syndicats estiment que le compte n’y est pas…
Il y a eu un consensus puisque tous les syndicats membres de la commission paritaire nationale (CPN) ont voté pour ces options. J’imagine que certains auraient voulu avoir davantage, mais nous avons débouché sur ces propositions de façon consensuelle.
La ROSP reste-t-elle un levier d’amélioration des pratiques, tel qu’il avait été imaginé il y a dix ans ?
C’est un outil important dans nos relations conventionnelles, permettant la diversification des modes de rémunération des médecins, en lien avec des objectifs de santé publique. La ROSP garde pleinement son sens et permet de favoriser l’évolution des pratiques médicales.
Mais dans le prochain grand rendez-vous conventionnel de 2022-2023, nous devrons faire avec les médecins un bilan approfondi du dispositif, de sa lisibilité et de son impact sur les pratiques et la santé publique. Je serai à l’écoute de la profession pour voir comment le faire évoluer. Il s’est beaucoup enrichi, c’est logique, mais peut-être s’est-il trop complexifié. C’est un diagnostic à faire en prenant du recul.
Faut-il étendre la ROSP ? La réformer ?
Sur l’extension, je n’ai pas identifié de spécialités immédiates mais je suis ouvert à des propositions des représentants concernés et nous approfondirons l’intérêt de cette démarche dans les mois qui viennent.
Sur l’avenir de la ROSP, je ne souhaite ni la supprimer – comme certains syndicats – ni la transformer en des majorations supplémentaires. Mais l’outil doit certainement évoluer pour garantir, voire renforcer son efficacité dans le temps.
Quand sera versé le forfait structure aux médecins ?
Il sera versé cette semaine. Il est en hausse par rapport à 2019.
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