LE QUOTIDIEN : Pour les médecins libéraux, la création du système universel fait l’objet d’interprétations contradictoires. Quel sera le sort de la CARMF, caisse autonome de retraite des médecins ?
LAURENT PIETRASZEWSKI : Il faut rappeler l'objectif de la réforme. Le système universel vise à créer des solidarités interprofessionnelles et intergénérationnelles qui ne sont pas liées à un métier ou à un statut. La réalité – qui vaut pour la profession médicale – ce sont des parcours et des carrières mixtes, moins linéaires, avec des périodes de salariat, de libéral, d'activité hospitalière, de formation… Le système universel permettra de prendre en compte cette réalité de façon plus protectrice.
Dans une caisse fermée comme celle des médecins, il y a toujours le risque de ne pas avoir suffisamment d'actifs un jour pour assumer les pensions de tous les retraités. La fragilité, c'est plutôt le système actuel.
Cela dit, nous entendons les inquiétudes des libéraux, d'où notre proposition : certaines caisses dont la CARMF pourront bénéficier d'une délégation de service public de la part de la caisse nationale de retraite universelle (CNRU) et rester l'interlocuteur de leur profession. C'est une vraie ouverture.
La mort de la CARMF n'est donc pas actée dès 2025 ?
Non, ne caricaturons pas les choses ! D'abord, je rappelle sans ambiguïté que le système universel ne concerne pas ceux qui sont à moins de 17 ans de leur retraite [la génération 1975 étant la première touchée, NDLR]. C'est valable pour les médecins. Pour eux, comme pour tous les retraités actuels, la CARMF actuelle a vocation à perdurer pour payer les pensions, traiter toutes les situations, garder son rôle d'action sociale, la prévoyance/invalidité… La caisse va donc faire son "job".
Et pour les générations après 1975, je le redis : les caisses autonomes pourront continuer à agir en délégation de gestion et conserver un rôle dans la durée.
Mais l'extinction de la CARMF n'est-elle pas programmée dès lors qu'elle sera privée de nouvelles recettes ?
L'article 57 du projet de loi prévoit une compensation versée par la caisse nationale universelle aux régimes complémentaires obligatoires des professions libérales pour garantir le financement des droits. Très concrètement, la CARMF recevra une dotation lui permettant d'assumer la totalité de ses engagements financiers, selon la trajectoire qui aurait prévalu sans la réforme. Grâce à cette intégration financière, il n'y aura pas de déséquilibre pendant la transition. Personne ne va "assécher" brutalement le régime des médecins et lui réclamer de puiser dans ses réserves. La compensation à l'euro près des ressources dont la CARMF sera privée, c'est une garantie.
Deuxième point : les syndicats nous ont réclamé la création d'un étage "complémentaire" ou "supplémentaire" car les médecins cotisent aujourd'hui au-delà du taux cible de 28,12 % [autour de 36 % en moyenne, NDLR] et s'inquiètent de l'impact sur leur pension. Pour eux, le taux de cotisations au système universel est prévu à 28,12 % jusqu'à 40 000 euros puis à 12,94 % entre 40 000 et 120 000 euros et 2,81 % au-delà.
La création d'un étage supérieur permettrait aux médecins – d'autant qu'ils entrent tardivement sur le marché du travail – de maintenir le niveau de leurs revenus de remplacement. Je suis ouvert sur ce sujet. Dès lors qu’il est clair qu’une profession est pleinement intégrée au système universel, si elle souhaite, à côté, développer des protections complémentaires, il n’y pas de raison de s’y opposer. Travaillons dans cette direction, dès lors que les médecins le souhaitent
Malgré tout, la crainte majeure des médecins porte sur la chute de leur pension moyenne…
Comparons le futur niveau de pension… par rapport au futur niveau de cotisations. On démontre que, en proportion, le niveau de baisse de la pension est généralement moindre que celui de la cotisation. Les cas types évoqués sont les six suivants : médecins avec une carrière de 30 ans en libéral et avec des revenus de 1 PASS [40 000 euros], 2 PASS [80 000 euros], 3 PASS [120 000 euros] et à chaque fois secteur I et secteur II. Les médecins ne seront pas perdants, et pas davantage les plus bas revenus. La réforme ne peut avoir pour conséquence de fragiliser l'équilibre des cabinets médicaux.
Comment se fera la transition pour les libéraux ?
Il n'y aura pas de big bang en 2025 sur les taux de cotisations du régime universel mais une convergence en 15 ans. Dans ce cadre, nous allons aussi réformer l'assiette sociale des indépendants. Le principe est d'agréger la CSG et les charges sociales avec un abattement inscrit dans la loi. Le taux de cet abattement, autour de 30 % de l'assiette, sera fixé par ordonnance au niveau législatif, ce qui est une garantie solide.
Que vont devenir les réserves financières de la CARMF ? Seront-elles fléchées à l’usage exclusif des médecins ?
Les réserves ne pourront bénéficier qu'au profit exclusif de ceux qui les ont constituées. Il n'y aura pas de pot commun ! L'article 57 dit qu'on ne touche pas aux actifs, sauf ceux que la caisse a déjà prévu d'utiliser pour assurer ses besoins, en fonds de roulement.
Je redis que les réserves appartiennent aux caisses autonomes qui décideront de ce qu'elles veulent en faire. Si c'est pour compenser une augmentation de charges, elles le pourront aussi. Mais en aucun cas, l'État ne forcera la main.
Que deviendra le régime ASV, au cœur du pacte conventionnel ? La prise en charge des deux tiers des cotisations sociales en secteur I sera-t-elle garantie ?
L'ASV sera conservé sous sa forme conventionnelle. Il n'y a pas de suppression programmée de ce régime avec le système universel. Si les partenaires conventionnels veulent conserver le niveau actuel de la prise en charge par la CNAM des deux tiers des cotisations sociales en secteur I, ils le pourront toujours. La loi n'a pas vocation à se substituer au partenariat CNAM/médecins. Le principe d'une prise en charge d'une partie des cotisations par l'assurance-maladie, en contrepartie de l'opposabilité des tarifs, sera inscrit dans la loi.
Quelle sera la représentation des professions libérales dans la gouvernance du régime universel ? La profession médicale aura-t-elle voix au chapitre ?
Le projet de loi crée un conseil supérieur de la protection sociale des professions libérales dans lequel ils auront tout loisir d'exprimer leurs positions. C'est une bonne réponse pour reconnaître leurs spécificités. En matière de gouvernance, il y aura un conseil d'administration de la caisse universelle avec 30 membres – dont un représentant des libéraux. Je ne peux dire si ce sera un médecin, un infirmier…
Que répondez-vous aux libéraux du collectif « SOS Retraites » qui crient à l’étatisation et manifesteront le 3 février ?
Nos réponses sur les prérogatives conservées de la CARMF, la délégation de gestion ou l'étage de retraite supplémentaire montrent que ce n'est pas une étatisation mais une réorganisation du système de retraite. Le régime universel s'appuie sur un socle large, interprofessionnel. Mais il laissera de la place à des solidarités professionnelles, reflet d'une histoire ou d'un besoin. C'est bien ce que nous allons faire !
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