« Une fois rentrée, je laisse mes vêtements sur le palier » : garde de nuit avec le Dr Mirna Salloum en pleine pandémie

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Publié le 07/05/2020

Crédit photo : Martin Dumas Primbault

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Crédit photo : Martin Dumas Primbault

Charlotte vissée sur la tête, masque FFP2 solidement positionné autour de la bouche et larges lunettes en plastique sur le nez, le Dr Mirna Salloum est méconnaissable au volant de sa petite Toyota blanche flanquée du logo SOS Médecins. Il est 18 heures ce lundi 4 mai, 48e jour de confinement en France, quand la généraliste parisienne entame sa garde. Garée le long du trottoir de la place de la Nation, elle attend les ordres du standard. Son équipement ne la quittera pas de la soirée.

Pour se protéger du Covid-19, les 150 médecins œuvrant sur le Grand Paris doivent faire « avec les moyens du bord ». « On a complètement été laissé de côté par l'agence régionale de santé », lâche avec amertume la praticienne de 47 ans. Les masques ? Des FFP2 périmés gracieusement offerts par SOS Dentaire. Les lunettes ? Prêtées par un voisin chef de chantier. Entraide oblige en temps de pénurie, les médecins SOS de la capitale entretiennent un stock commun d'équipements. « Quand l'un d'entre nous met la main sur un lot de protections, le plus souvent il le partage avec les autres », explique la soignante à domicile. Depuis quelques jours, blouses et surblouses font défaut. Pas le choix, il faut faire sans.

Depuis le début de l'épidémie, 35 confrères sont tombés malades. Le Dr Salloum échappe pour l'instant à la contamination au prix d'un « rituel » très strict : organisation de la voiture en « un coin propre et un coin sale », désinfection rigoureuse et systématique du matériel après chaque consultation… « Une fois rentrée chez moi, je laisse mes vêtements sur le palier avant de les laver », précise même la généraliste.

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Anxiété généralisée

« Mirna tu me reçois ? » 19 heures et 10 minutes, la radio sonne pour la première fois de la soirée. Une mère s'inquiète pour sa fille de 10 ans, prise de céphalées. Le Dr Salloum met le contact et s'engage dans une grande avenue parisienne laissée vide par le confinement. Des enfants, elle en voit de plus en plus « depuis une dizaine de jours », souvent avec des signes infectieux légers. Coronavirus ? Rien ne permet de l'affirmer. Mais « il n'y a plus que le Covid qui circule actuellement », pointe la praticienne qui n'hésite plus, depuis les annonces du gouvernement, à prescrire massivement des dépistages.

Cette fois elle envoie toute la famille faire une sérologie, dans le doute. La mère ayant contracté le virus au mois de mars, il faut savoir si elle l'a transmis à ses deux enfants avant de les renvoyer à l'école. Au total, 45 minutes auront été nécessaires pour rassurer cette maman, très inquiète à l'approche du déconfinement.

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L'anxiété est un motif d'appel récurrent depuis plusieurs jours. Les médecins SOS sont en première ligne face aux inquiétudes de la population. « Mais les patients posent souvent des questions auxquelles nous n'avons malheureusement aucune réponse à apporter », confesse la généraliste. Parfois, le confinement peut même avoir des effets délétères sur la santé. « En avril nous avons vu flamber les décompensations de maladies psychiatriques », raconte le Dr Salloum.

« On a eu peur »

La Toyota traverse le périphérique parisien sur les coups de 22 heures. Direction Montrouge (Hauts-de-Seine) pour la troisième intervention de la soirée. Une femme d'une cinquantaine d'années présente des signes pouvant s'apparenter au virus. Depuis sa voiture, le médecin SOS a vu évoluer l'épidémie au gré des visites chez les patients, sans jamais savoir exactement ce à quoi elle avait à faire.

En janvier et février, l'activité est soutenue. « On s'est dit "Ah la grippe arrive !" », se souvient la praticienne. Ce n'est qu'à partir de début mars qu'elle a commencé à diagnostiquer avec certitude des cas de Covid-19. Le vrai pic est arrivé fin mars, « une dizaine de jours avant les hôpitaux ».

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« On a eu peur », raconte le médecin. Non pas que l'activité soit débordante − « à peine plus qu'une saison grippale » − mais la gravité des symptômes a souvent laissé les médecins impuissants. Formes respiratoires sévères, atteintes neurologiques, engelures… La praticienne relate un tableau clinique « un peu bizarre » et surtout une vitesse d'aggravation « impressionnante » des malades.

Depuis janvier, le Dr Salloum travaille plus de 50 heures par semaine à raison de dix ou quinze consultations par garde de six heures. Fin mars, l'activité s'est « écrasée ». Aujourd'hui, le rythme tourne autour de sept visites, « comme en été ». Les patients contaminés se font de plus en plus rares et des pathologies plus classiques réapparaissent. Au moment de regagner la voiture, le médecin est soulagé : la patiente de Montrouge n'a pas contracté le virus.

Communion

23 heures 15, la radio sonne pour la cinquième et dernière fois de la soirée. L'appel a été régulé par le SAMU avant de lui être envoyé. « On fait tampon pour les urgences », explique le Dr Salloum qui connaît très bien le secteur. Pendant dix ans, cette « urgentiste dans l'âme » a exercé à Henri Mondor (AP-HP). Elle était adjointe au chef de service avant de quitter l'hôpital en raison des conditions de travail et du manque de perspectives. « Je dis chapeau à ceux qui ont continué », soutient la généraliste. En 2010, elle est séduite par le mode d'exercice « à cheval entre la ville et l'urgence » proposé par SOS Médecins dont elle préside depuis la commission scientifique.

Convictions bien ancrées, le Dr Salloum voit dans le système libéral un « modèle parfait pour le médecin de famille » mais déplore le manque de reconnaissance des pouvoirs publics. Elle se dit « blasée » du tarif des visites et peste contre un gouvernement qui n'a fait « que citer » l'action de SOS Médecins pendant la crise. Si elle se félicite pour ses anciens collègues du plan annoncé par Emmanuel Macron en faveur de l'hôpital, l'ancienne PH a peu d'espoir que les choses bougent pour la médecine de ville.

Peu importe, elle trouve aujourd'hui la reconnaissance qu'elle demande dans les applaudissements qui résonnent tous les soirs à 20 heures ou dans les nombreux signes de gratitude qui lui sont adressés au hasard par des passants à la vue des autocollants sur sa voiture. « On n'a pas l'habitude et c'est très touchant », sourit-elle, visiblement émue.


Source : lequotidiendumedecin.fr