Moins de 5 % des signalements de maltraitance infantile sont issus du corps médical. Les médecins sont pourtant en première ligne, en cabinet de ville comme à l’hôpital, pour repérer les enfants victimes d’agressions physiques, psychologiques ou sexuelles. Quels signes doivent éveiller les soupçons des praticiens ? Comment mieux prendre en charge les victimes ? La Dr Céline Gréco, responsable de l'unité douleur et médecine palliative à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) et à l’origine de la mise en place d’unités mobiles de repérage des enfants victimes de maltraitance, partagera son expérience sur le sujet au cours d’un Live chat d’une heure. Elle sera accompagnée de la Dr Solène Loschi, responsable de la nouvelle équipe référente en protection de l'enfance de l'hôpital Trousseau et spécialiste en médecine légale.
Journaliste QDM (SL)
Le Live chat va bientôt commencer. Nous accueillons aujourd’hui la Dr Céline Gréco, responsable de l'unité douleur et médecine palliative à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) et à l’origine de la mise en place d’unités mobiles de repérage des enfants victimes de maltraitance, et la Dr Solène Loschi, responsable de la nouvelle équipe référente en protection de l'enfance de l'hôpital Trousseau et spécialiste en médecine légale.
Comment mieux repérer au cours d’une consultation les enfants victimes d’agressions physiques, psychologiques ou sexuelles ? Comment les prendre en charge ? Nos deux invitées répondront à vos questions sur le sujet pendant près d’une heure.
Journaliste QDM (SL)
Le Live chat va commencer dans quelques minutes. Merci de votre patience.
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Dr Céline Gréco. Bonjour Dr Solène Loschi.
Nous sommes ravis de vous accueillir à la rédaction.
Drs Gréco et Loschi
On est ravies d'être là pour ce sujet très important.
Doc 93
Bonjour. Quels sont les signes physiques ou dans le comportement de l'enfant qui permettent d'établir qu'il subit des maltraitances ?
Drs Gréco et Loschi
C'est une question très vaste. Il y a des signes physiques et comportementaux qui ne trompent pas. Tout d'abord, concernant les maltraitances physiques, il existe des signes spécifiques et c'est très important de regarder l'ensemble du revêtement cutané et muqueux, il faut vraiment un examen minutieux. Par exemple, les hématomes sont plus souvent observés au niveau des zones concaves du corps et non sur les zones convexes, signes habituels des chutes, par exemple au niveau de la joue ou du cou. Ils sont souvent aussi au niveau des zones cachées par les vêtements. C'est pourquoi il est important de déshabiller les enfants pour l'examen.
Pour les brûlures, elles sont le plus souvent à bord net ou prennent la forme d'un objet, comme une cigarette, un fer à repasser, ou brûlures linéaires au niveau des poignets et chevilles (liens). Elles touchent des zones non exposées, par exemple, les fesses alors qu'il y a une couche.
Certaines fractures sont plus typiques, comme les fractures de côtes. Les arcs postérieurs sont le plus souvent touchés, ce qui est incompatible avec une kiné respiratoire ou l'excuse d'un massage à la suite d'un malaise.
En cas de malaise et de vomissements isolés chez un nourrisson de moins de 2 ans, il faut toujours se poser la question d'un possible secouement.
Pour les troubles du comportement, ils sont plus spécifiques. Toute rupture par rapport au comportement antérieur de l'enfant doit faire évoquer une maltraitance : un enfant qui étudiait bien à l'école et qui devient turbulent avec de moins bonnes notes, un enfant qui ne dort plus, un enfant qui ne mange plus, ou qui redevient énurésique. En cas de négligence affective, les enfants vont être dans l'évitement, fuient le regard, restent dans leur coin. En cas d'agressions sexuelles, tout type de trouble du comportement avec en plus parfois une sexualisation des rapports, chez les petits surtout, ou des ados agresseurs. Les douleurs abdominales chroniques non expliquées, les récidives d'énurésie et d'encoprésie sont aussi évocatrices, ainsi que les prises ou les pertes de poids brutales, qui surviennent dans un but de protection. On peut observer aussi une pudeur excessive, avec un enfant qui refuse d'être examiné ou de se déshabiller.
Dans les violences psychologiques, ce sont les troubles du comportement ou des troubles de conduite avec un enfant qui font des crises agressives. Chez les ados, il faut se méfier des mises en danger avec conduites addictives, idées suicidaires et tentatives de suicide, ainsi que la déscolarisation. Quand il y a un doute, c'est utile de se rapprocher de l'école et du médecin scolaire.
La parole de l'enfant doit être entendue et crue. Un enfant en âge de parler, en moyenne vers l'âge de 4 ans, doit pouvoir être vu pendant une partie de l'examen sans la présence de ses parents.
Pour la maltraitance physique, il y a un signe qui doit absolument être évocateur : la discordance entre la lésion constatée et l'âge de développement de l'enfant. Toute fracture avant l'âge de la marche est fortement suspecte de maltraitance et doit conduire à adresser l'enfant aux urgences. Idem pour la discordance entre la lésion constatée et l'absence d'explication ou le délai entre la lésion et la consultation. Un enfant qui arrive en consultation très tardivement par rapport à la survenue rapportée de la lésion.
En cas de doute, ne jamais rester seul. Adresser l'enfant aux urgences pédiatriques et appeler l'équipe au préalable pour qu'elle s'assure de la venue effective de l'enfant.
-- kikou
Bonjour. Est-ce une obligation légale de prévenir les parents si on téléphone à la cellule d'information préoccupante ? Si oui, quelle structure peut on appeler si on a un doute ?
-- Fane
Peut-on signaler sans en avoir averti la famille ?
Drs Gréco et Loschi
On n'a aucune obligation légale d'informer les parents que l'on téléphone à la Crip pour avoir un avis. Que ce soit pour le signalement ou l'information préoccupante, la loi dit qu'il est recommandé d'informer les deux parents que l'on fait un écrit, sauf intérêt contraire de l'enfant. C'est à la discrétion du signalant.
L'information préoccupante, il est important de la présenter comme une aide et un moyen pour le médecin de demander l'aide d'autres professionnels. Le médecin n'est pas éducateur. Quand c'est bien amené, les parents le voient effectivement plus comme une aide que comme une sanction.
En cas d'information préoccupante, on est moins inquiet que pour un signalement. En consultation, si les médecins pensent que l'IP ou le signalement peut rompre le lien avec les patients, il vaut mieux demander à l'hôpital de le faire. L'obligation légale des médecins est de protéger l'enfant, en l'adressant par exemple à l'hôpital qui pourra se charger de l'écrit. Cela peut être compliqué pour un médecin traitant de faire un signalement ou une IP au risque de perdre de vue la famille ou d'avoir des conséquences négatives, voire des représailles. C'est pour cela que se développent des unités d'accueil pédiatriques de l'enfant en danger hospitalières. Le médecin qui se sent démuni par rapport à l'IP ou le signalement doit en tous les cas passer la main à un collègue. Devant une suspicion de maltraitance, plutôt que ne rien faire, mieux vaut passer la main et adresser l'enfant, en particulier à l'hôpital où il est plus facile pour des équipes pluridisciplinaires de prendre la responsabilité ensemble de faire une IP ou un signalement. Cela permet au médecin traitant de continuer à suivre la famille.
Journaliste QDM (SL)
Ariane
Recommandez-vous des questions à poser aux enfants ou aux parents ? Directes, indirectes ?
Drs Gréco et Loschi
Il faut être direct, avec les enfants et les familles. Oser poser la question, à l'enfant quand on est seul avec lui. Est-ce qu'on lui a fait du mal ? Lui a-t-on fait des violences ? A-t-il été dans des situations où quelqu'un a subi des violences? Parfois, ils n'osent pas dire que ce sont eux les victimes.
Les propos spontanés de l'enfant qui rapporte des violences subies doivent être notés tels quels et entre guillemets. Dans ce cas, chez les moins de 6 ans, ne pas poser de question fermée pour ne pas polluer le discours de l'enfant. On se cantonne au strict nécessaire. Le reste sera fait par les enquêteurs.
dede
CAT devant des expressions d'idées suicidaires chez une jeune de 10 ans avec plaintes de violences (j'en ai marre d'être tapée) ?
Drs Gréco et Loschi
Il faut adresser immédiatement l'enfant aux urgences sous n'importe quel prétexte et prévenir l'équipe des urgences du pourquoi on l'adresse.
Dr MA Dubois - LENVAL Nice
Que penser d'une morsure d'une maman sur son grand enfant sur la fesse ? (lors de jeux ?)
Drs Gréco et Loschi
Toute morsure humaine, d'adulte, sur un enfant, peu importe la raison avancée, est une maltraitance jusqu'à preuve du contraire. Donc, c'est un enfant aussi à adresser aux urgences. Ou alors rédiger d'emblée un signalement si la morsure est constatée.
Ariane
Quels retours d'expérience faites-vous de vos signalements ? Comment la parole du médecin est-elle prise en compte ? À quelles difficultés doit-on s'attendre ?
Drs Gréco et Loschi
La parole du médecin est toujours prise en compte. La communication orale est très importante. Il ne faut pas hésiter à appeler le procureur d'astreinte de son département ou la Crip. Selon l'article 226.14 du code pénal, il n'y a aucune sanction ni civile, ni pénale, ni disciplinaire si le signalement est fait de bonne foi et dans les règles : ne jamais désigner nominativement un auteur, toujours rapporter les propos entre guillemets des uns et des autres et toujours un rapport factuel de l'examen clinique sans présager des causes des lésions constatées. Les gens peuvent poursuivre mais à partir du moment où c'est fait dans les règles, il n'y a aucune sanction. Les médecins peuvent demander un retour des suites données à la procédure.
La loi ne prévoit pas les termes de "signalements abusifs".
Si l'on s'inquiète de risque de détruire la famille, se dire que ce sont les violences qui ont déjà détruit les familles, et que le signalement donne une chance aux enfants de se réparer et aux parents d'être aidés. Toujours penser et agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant.
Milou
Parfois l'enfant ne fait pas part d'avoir été frappé ou maltraité, il protège son parent et répond aux questions par : "C'était normal qu'il se fâche, j'avais fait une bêtise." Que faire alors ?
Drs Gréco et Loschi
C'est normal que l'enfant dise cela, mais cela n'efface pas la maltraitance et il faut d'autant plus protéger cet enfant. Il faut lui expliquer que ce n'est pas une situation normale et qu'un parent ne doit pas se fâcher en frappant. Les violences éducatives ordinaires sont interdites en France.
Le code civil dit que l'autorité parentale s'exerce sans violence.
Milou
Bonjour. Comment ne pas confondre l'hypersexualisation de l'enfant avec de possibles agressions ?
Drs Gréco et Loschi
Devant un comportement d'hypersexualisation (différent d'un mimétisme vestimentaire), il faut toujours se poser la question d'agression subie. On parle de l'enfant qui va mimer des scènes sexuelles, des caresses à connotation sexuelle, qui va se masturber en public ou agresser sexuellement d'autres enfants.
florence
Comment procéder face à de la violence psychologique (éducation manifestement trop rigide) ? Hormis conseils et soutien psycho, comment gérer la situation, comment aborder la thématique avec les parents, quand signalez ces cas ?
Drs Gréco et Loschi
Si cela a un retentissement sur le développement global de l'enfant, son comportement, avec parfois la survenue de douleurs inexpliqués, de migraines, de malaise, etc, il faut passer la main et faire une information préoccupante. Ce n'est pas au médecin traitant de porter cela seul. Il peut s'aider d'outils de prévention et aborder franchement le sujet avec les parents qui parfois ne s'en rendent pas compte, dans une démarche d'aide, avec empathie et sans jugement. Proposer un suivi psychologique pour l'enfant et une thérapie familiale.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour,
Je ne reçois pas d'enfants dans ma pratique professionnelle. Il m'arrive en revanche de suspecter, par le comportement ou le discours de certains patients, une maltraitance de leurs propres enfants, par le conjoint, l'entourage proche, voire par eux-mêmes.
Quelle attitude dans cette situation ? Merci de votre éclairage.
Drs Gréco et Loschi
Si on prend l'exemple des violences conjugales, une femme qui arrive au cabinet ou aux urgences pour ce motif et qui a des enfants doit faire déclencher la rédaction d'une information préoccupante même si l'on n'a pas vu les enfants. Et souvent, cela aide la femme. Il est aussi possible de prendre contact directement avec la Crip ou appeler le 119. Une IP permet de faire part de sa préoccupation. Si le discours tenu par d'autres entraîne une préoccupation du médecin pour l'enfant dont on parle, elle doit être rédigée.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour.
J'ai une famille que je suis en pointillé. La maman a une agoraphobie sévère et j'ai remarqué qu'une des enfants est inscrite à l'école malgré le fait qu'elle n'a aucun vaccin. C'est le papa qui vient en consultation ; il m'a dit qu'ils avaient un suivi social. Je me suis posé la question de faire une information préoccupante ; mais ce qui me bloque, c'est que j'ai la notion qu'il faut que j'informe les 2 parents de celle-ci ? Merci de votre avis.
Drs Gréco et Loschi
Il n'y a pas obligation d'informer les parents de la rédaction d'une IP. Dans cette situation, l'absence de vaccin fait suspecter un défaut de soins qui appelle la rédaction d'une IP. L'impossibilité de joindre un parent ne doit pas empêcher de protéger l'enfant.
Ariane
Deux parents en salle d'attente ignorent complètement leur enfant, tous les deux occupés sur leur smartphone. L'enfant de 2 ans s'approche des smartphones pour attirer leur attention. Réaction : "Même pas dans tes rêves." Quelle attitude adopter ?
Drs Gréco et Loschi
Il faut faire un travail de prévention, reprendre les conseils de base de la parentalité. Proposer une aide auprès des Maisons des parents et peut-être expliquer le risque à terme pour l'enfant, qui pourrait souffrir de carences affectives et se mettre en danger pour attirer l'attention. En parler à la PMI qui suit l'enfant.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour.
Que penser d'un jouet introduit par un petit enfant dans le rectum ?
Drs Gréco et Loschi
Cela dépend de son âge. Il faut forcément se poser la question d'une maltraitance sexuelle. Il y a néanmoins des âges où la découverte de ses organes génitaux est physiologique. Au moindre doute ne pas hésiter à prendre conseil auprès d'une équipe spécialisée (Crip, UAPED, 119)
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Dernière question.
Auvergne
Que faire quand on pense qu'il y a un danger immédiat pour l'enfant ?
Drs Gréco et Loschi
Adresser aux urgences sous n'importe quel prétexte ou appeler du cabinet le Samu, les pompiers ou la police pour mise à l'abri immédiate de l'enfant. Par exemple, dire aux parents que l'enfant est très pâle et que cela fait suspecter une grave anémie qui doit être prise en charge immédiatement. Tous les prétextes sont bons pour justifier l'appel au secours ou adresser aux urgences.
Journaliste QDM (SL)
Merci d’avoir participé à ce Live chat avec les lecteurs du « Quotidien ». Le mot de la fin vous revient !
Drs Gréco et Loschi
Le doute doit bénéficier à l'enfant et il ne faut jamais rester seul face au doute et savoir adresser, passer la main à l'hôpital si besoin. (CG)
Je vous encourage à vous renseigner sur les coordonnées de vos Crip, parquet et équipes hospitalières spécialisées à proximité. (SL)
Nous vous recommandons deux ouvrages :
- "La Maltraitance des enfants" des Dr Adamsbaum Catherine et Dr Rey-Salmon Caroline.
- Le livre et le site de la Société française de pédiatrie médicolégale.
Il existe aussi des formations en ligne.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation. Rendez-vous dans quelques semaines pour un nouveau Live chat.
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