Que nous soyons soucieux, inquiets, réservés, concentrés, stressés, rageurs, déprimés, nul sourire ne se dessine sur nos lèvres, sinon un rictus cynique ou désespéré. Mais sait-on faire la différence entre ceux qui font la tête et ceux qui sont tristes ?
Dans mon cabinet de psychiatre, les patients arrivent enfin démasqués ! Or masqués, on ignorait leurs expressions, démasqués, c’est pire, ils croient être redevenus eux-mêmes. À l’extérieur, on pouvait imaginer que les plus mal psychiquement étant à l’abri des regards peut-être inquisiteurs, se sentaient donc moins angoissés. Désormais, à visage découvert, ils se retrouvent donc sur la défensive… On a troqué le masque « en textile » contre le masque social, affligeant mais nécessaire retour à la normale.
Il existe un antidépresseur naturel, c’est le sourire
Soudainement je me suis trouvé confronté à une sorte d’évidence : il existe un antidépresseur naturel qu’ont découvert certains peuples, oublié par d’autres, c’est le sourire. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé un matin atteint par l’allegria virus qui m’a inoculé le sourire contagieux, car voué à se transmettre par une irrépressible réaction en chaîne. Sachant que si je souris à deux personnes qui font de même, il suffirait de neuf itérations pour arriver à 500 sourires ! Une épidémie de sourires ainsi transmis ne finirait-elle pas par lézarder cette façade d’indifférence et surtout effacer cette impression d’apathie sociale ?
Les vertus du sourire sont innombrables, puisqu’il réchauffe, revigore, détend, rassure, désinhibe, réjouit, encourage. Un sourire rêvé, convoité, désiré devient vrai s’il est échangé, dès lors qu’il est trait d’union, même entre deux inconnus. Et un sourire désespéré vaut plus qu’un visage de marbre.
Une charte du sourire est à envisager
En effet, un sourire est loin d’être anodin et pour certains, c’est même une arme à double tranchant. Il importe qu’il soit exempt d’une intention perverse visant à manipuler l’autre ou d’une complaisance feinte visant à le victimiser. Et s’il est séducteur, il doit rester respectueux. Il est animé par la bienveillance, l’empathie et la recherche d’un vrai sourire, alors que le dépressif, verrouillé en lui-même l’a perdu.
Même s’il est timide, à peine esquissé, même s’il est pauvre et fragile, même s’il émane d’un être seul et désolé, même s’il est vague, incertain, presque évanescent, même s’il disparaît dans l’ombre d’un chagrin, même s’il surgit d’une effrayante obscurité, même s’il est plus doux qu’une caresse, mais s’il parvient à se frayer un chemin jusqu’aux lèvres, il rayonnera tel un vrai sourire, porteur d’une étincelle de joie et appartiendra de plein droit à la famille des sourires francs et éclatants.
Mieux vaut un imperceptible sourire qu’un masque de cire, mieux vaut un sourire noyé qu’un visage glacé, mieux vaut un sourire désarmé qu’un rictus de vainqueur, mieux vaut une amorce de sourire qu’un rire nerveux, mieux vaut un sourire éteint qu’une plainte qu’on étreint, mieux vaut un sourire désarmant qu’un regard qui fusille, mieux vaut un éclat de rire qu’un sourire contraint, mieux vaut un sourire permanent qu’une gueule d’enterrement, mieux vaut une vraie grimace qu’un faux sourire !
Le sourire, telle une invisible caresse ouvre notre être et le prépare à une éventuelle rencontre. Et même au téléphone, certains peuvent l’entendre. Mais est-il encore envisageable quand la personne est tendue, contractée, fermée et se refermant davantage sous la pression de l’angoisse de performance, la peur du jugement, du rejet ?
Parmi les résistants au sourire figurent : les affligés, les cyniques, les hargneux, les hermétiques, les perdus, les fracassés, les hostiles, les désabusés, les allergiques…
Je dois donc me considérer comme le patient zéro
Dix-sept muscles et 17 secondes suffisent pour inonder notre cortex de bien-être. « Avant d’être offert à l’autre, le sourire doit d’abord être intérieur et trouver sa source en soi », selon Maryse Vaillant, psychologue clinicienne.
Je dois donc me considérer comme le patient zéro. Ce n’est pas une présomption, ni un exercice de style, c’est une donnée expérimentale. Je dois vraiment observer et étudier ce qui se passe quand on a la charge de favoriser la propagation de l’allegria virus, beaucoup plus contagieux que le corona virus. Mais comment procéder étant donné que j’ignore encore les effets de cette virémie sur moi ?
En fait, ai-je d’autre choix qu’une fuite en avant et de faire des émules afin de créer le club des attrapeurs de sourires. Grâce aux cotisations des membres, on pourra offrir, autour d’une table d’hôtes un repas à certains qui sont trop pauvres pour aller au restaurant. Il suffira de se rendre sur le site de resto no solo.
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