« Nous appelons solennellement les députés et les sénateurs à ne pas supprimer l’Aide médicale d’État »

Publié le 13/07/2023
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Le 7 juin dernier, une majorité de parlementaires de l'Assemblée nationale a rejeté un texte appelant à rogner l'Aide médicale d'État (AME). Pour autant, ce dispositif reste menacé alors qu'il permet un accès aux soins à des patients étrangers en situation irrégulière, patients qui sont parmi les plus vulnérables sur le plan médical. Supprimer ou dégrader un dispositif qui favorise l'accès aux soins pèserait lourdement en termes d'accroissement des inégalités sociales de santé, en particulier de santé des femmes, de santé maternelle, périnatale et infantile.

L'Aide médicale de l'État (AME) est une aide sociale permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'une prise en charge de leurs soins. Elle a été mise en place en 2000 pour pallier l’exclusion des travailleurs sans papiers ne pouvant bénéficier d’une couverture sociale de droit commun par l’Assurance-maladie et en remplacement de l’Aide médicale d’urgence préexistante. Un amendement proposant la suppression de l’Aide médicale d’État, au profit d’une aide ne couvrant uniquement que « les soins urgents », a été voté au sénat le 15 mars 2023. Cet amendement contraire aux principes des droits humains garantissant un droit à la santé pour tous sur le territoire français et européen, est un non-sens d’un point de vue économique, les prises en charge tardives hospitalières des pathologies étant particulièrement coûteuses, et va limiter l’accès aux soins d’une population déjà fragilisée (1-4).

De plus, toutes les études démographiques démontrent que la migration pour raison de santé est minoritaire parmi les motifs de départ des pays d’origine, que notre système de protection social est globalement méconnu des migrants, et que sa restriction n’aura aucun effet sur les flux migratoires.

La suppression de l'AME limiterait l'accès aux soins primaires, à la prévention...

Cet amendement, s’il était voté à l’Assemblée nationale, limiterait l’accès aux soins primaires, à la prévention, et la prise en charge des pathologies chroniques de la population visée, impactant sa santé et sa qualité de vie.

Au-delà des conséquences en termes de santé, loin de limiter les dépenses, cet amendement sera coûteux, entraînera par ricochet une surcharge non supportable des Permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et des Services d’accueil et d’urgences (SAU) déjà saturés, une sursollicitation des ressources spécialisées (soins spécialisés, hospitalisations et recours aux soins critiques) et une augmentation des durées d’hospitalisations du fait de l’impossibilité de transférer des malades en soins de suite et de réadaptation [1-6]. Le système de santé, exténué après la crise du Covid-19, n’aura pas la capacité d’endosser les conséquences d’une politique contraire à la santé publique.

De plus, le coût des soins couverts par l’Aide médicale d’État et du dispositif des soins urgents et vitaux, bien que significatif, ne représente que 0,4 % des dépenses de l’Assurance-maladie en France au bénéfice d’une population surexposée aux maladies infectieuses transmissibles [7], aux maladies chroniques non transmissibles et à la souffrance psychique notamment en lien avec leurs conditions de migration et de vie [8-9]. Les travaux des économistes de la santé ne concluent pas à une surconsommation de soins inutiles par ces bénéficiaires et font, à l’inverse, le constat d'un non-recours à ce droit important (49 % selon l’enquête Premiers pas, y compris pour les personnes atteintes de maladies chroniques) [10].

La solution ne peut être de restreindre l'accès aux soins

Nous rappelons que selon l’OMS « la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain quelle que soit sa condition […] économique et sociétale » (8). Nous affirmons que, si problème il y a, la solution ne peut être de restreindre l’accès aux soins, et appelons solennellement les députés et les sénateurs à ne pas supprimer l’Aide médicale d’État, à revenir sur les restrictions qui lui ont été adjointes (délais de carence) et à en assurer un accès effectif.

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(1) Ganapathi et al. N Engl J Med 2019
(2) Prats-Uribe et al. Eur J Public Health 2020
(3) Guillon et al. EurJ Health Economics 2018
(4) Kraft et al. J Pédiatr 2009
(5) Allegri C et al. EClinicalMedicine 2022
(6) Cervantes et al. JAMA Intern Med 2018
(7) Vignier et al. Front Public Health. 2022
(8) Keith et al. BMJ 2015
(9) https://www.irdes.fr/recherche/2022/qes-266-une-personne-sans-titre-de-…
(10) https://www.irdes.fr/recherche/2019/questions-d-economie-de-la-sante.ht…

Ce positionnement a été co-signé par : Le Collège des enseignants de médecine intensive et réanimation (CeMIR) Le Collège de réanimation des hôpitaux extra-universitaires de France (CREUF) L’Association nationale des jeunes médecins intensivistes réanimateurs (ANJMIR) Le Groupement francophone de réanimation et des urgences pédiatriques (GFRUP ) Le Syndicat des médecins réanimateurs (SMR) Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français La Société française de médecine périnatale (SFMP) La Société française de néonatalogie (SFN)

Source : lequotidiendumedecin.fr