L'anatomocytopathologie (ACP) est très en retard en termes de numérisation, alors que d’autres spécialités médicales de diagnostic telles que la radiologie ou la biologie ont pris, depuis plus de 15 ans, le virage numérique : en 2022, en France, le médecin ACP réalise encore l’examen de ses échantillons tissulaires ou cellulaires à l’aide d’un microscope à partir de lames physiques. La simple visualisation de lames numériques sur un écran renouvellerait en profondeur l’exercice de la discipline, faciliterait les échanges via les outils de télépathologie, et ouvrirait ainsi « la voie d’une véritable pathologie augmentée » (1). Ce constat est d’autant plus surprenant qu’il existe des solutions technologiques matures et des outils disponibles (stockage, réseau, cloud…) qui facilitent cette révolution numérique de l’ACP.
Par ailleurs, la discipline se trouve confrontée à un « effet ciseau », matérialisé par une hausse des demandes et une raréfaction des ressources humaines. Ces tensions ne peuvent que s’accentuer dans les années à venir : il faut dès maintenant prévenir ce phénomène et engager une numérisation ambitieuse de l’APC.
Tous les acteurs concernés
Tous les acteurs de l’écosystème ont à gagner de cette transition numérique, des professionnels de l’ACP aux laboratoires en passant par les patients, les établissements de santé et les pouvoirs publics.
Pour les malades, elle améliore considérablement le parcours des soins et réduit l’errance diagnostique, en garantissant l’accès à l’expertise pour tous les patients, indépendamment de leur lieu de vie.
Côté professionnels, la numérisation garantira de meilleurs résultats et conditions d’exercice : optimisation des flux de travail, collaboration accrue entre pathologistes, chirurgiens et techniciens, réduction nette des délais de rendus, partage des données patients, accès renforcé à l’expertise et aux outils diagnostics et élargissement des perspectives de recherches en ACP.
Pour les établissements, cette transition numérique coïncide avec une meilleure allocation de leurs ressources humaines. Grâce aux technologies d’analyse d’images et d’Intelligence artificielle (IA) appliquées aux lames numériques, de nouveaux outils seront développés - aide au diagnostic, diagnostic automatisé - permettant aux pathologistes de se consacrer aux actes les plus complexes.
Enfin, la numérisation de cette discipline résonne avec l’ambition des pouvoirs publics de faire de la France un acteur européen et international majeur de la lutte contre le cancer.
Des soutiens financiers proposés
Loin d’être inaccessible, cette transition a été enclenchée à l’échelle mondiale il y a plus de 30 ans. En Europe, la Norvège a débuté la démarche, qui s’est ensuite étendue aux Pays Bas, au Royaume-Uni, à l'Allemagne et à l'Espagne. En France aussi, des laboratoires ACP utilisent déjà la pathologie numérique en routine.
Les établissements de santé ne peuvent plus ignorer l’enjeu de la numérisation de l’ACP et doivent se saisir des accompagnements et soutiens financiers, opérationnels et organisationnels qui leur sont proposés. L’Anap, en étroite collaboration avec le Conseil national professionnel des pathologistes (CNPath a élaboré une publication pour d’une part, convaincre les établissements de la nécessité d’investir dans le virage numérique de l’activité, mais surtout pour leur donner les clés opérationnelles pour entreprendre cette numérisation dans les meilleures conditions.
En effet, cette numérisation est coûteuse : elle implique un effort d’adaptation des infrastructures et des professionnels et un investissement financier d’environ 1 million d’euros par établissement.
Les pouvoirs publics soutiennent ces investissements. Dans le cadre de l’instruction du 15 avril 2022 relative à la première délégation des crédits du fonds pour la modernisation et l’investissement en santé (FMIS), il est prévu d’allouer des crédits aux établissements de santé s’inscrivant dans un projet de numérisation de leur activité d’ACP. Le montant global délégué pour la numérisation de l’anatomocytopathologie s’élève à 20 millions d'euros de crédits hors Ségur pour 2022. Certaines ARS ont récemment publié des appels à projets, d’autres restent à venir.
Établissements de santé, n’hésitez pas à soumettre vos projets et à saisir ces opportunités de financement qui vous aideront à absorber l’investissement nécessaire à la numérisation de l’ACP.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à aurelie.dureuil@gpsante.fr.
(1) Cf plaidoyer CNpath
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