Parce que le tabac tue 50% des fumeurs réguliers et diminue de plus de 20 ans leur espérance de vie, la nouvelle recommandation de la HAS sur le sevrage tabagique invite les généralistes à être plus incisifs avec leurs patients fumeurs. Et à troquer le conseil minimal pour un conseil d’arrêt systématique. Une démarche novatrice mais jugée encore trop frileuse par certains tabacologues.
« Vous fumez et vous prenez la pilule, il va falloir penser à changer de moyen de contraception. » Dix ans après, Nathalie Clastres s’en souvient encore. Alors qu’elle consultait son médecin traitant pour un renouvellement de pilule, celui-ci n’a pas hésité à lui parler prévention… sans pour autant évoqué le sevrage tabagique ! Depuis, les choses ont changé et cette « représentante des usagers » a réussi à laisser tomber la cigarette avec le soutien de son généraliste. Mais l’anecdote reste révélatrice : devant un patient fumeur le réflexe n’est pas toujours de lui parler sevrage. Face à cet état de fait, la HAS vient de publier une nouvelle recommandation sur le sevrage tabagique en soins primaires qui invitent les généralistes à être plus incisifs avec leurs patients fumeurs.
Dépistage et conseil d’arrêt systématique
Alors que pendant longtemps le conseil minimal a été la règle, la nouvelle feuille de route de la HAS « cherche à inciter les praticiens à adopter une démarche systématiquement proactive vis- à-vis des patients fumeurs quel que soit leur motif de consultation et à ne plus se contenter de leur demander s’il fume et combien il fume » résume le Dr Cédric Grouchka (membre du Collège de la HAS). Avec en toile de fond, l’idée « d’amener le plus de fumeurs possibles dans l’intentionnalité ou la pré-intentionnalité d’arrêt du tabagisme, y compris chez ceux qui ne seraient jamais venus consulter pour ça. C’est un effort que nous demandons aux généralistes mais qui peut être un vrai déclencheur, comme le montre les données de la littérature »
La HAS recommande donc de s’enquérir systématiquement du statut tabagique de chaque patient et surtout de conseiller invariablement l’arrêt du tabac de manière concrète et précise. « Tout médecin doit donner à un fumeur le conseil d’arrêter et l’aider à poser une date », insiste le Pr Albert Ouazana président du groupe de travail de cette recommandation. « Pour nous, le tabagisme est une maladie chronique acquise et en tant que médecin, nous devons le considérer comme tel du point de vue thérapeutique », poursuit ce généraliste de Saint-Cyr.
Tabac, diabète ou HTA : même combat ?
Pour autant faut-il prendre en charge le tabagisme « sans états d’âme » comme l’on prend en charge un diabète ou une HTA ? Les avis sont partagés. Alors que certains tabacologues, comme le Pr Dautzenberg, plaident dans ce sens, notamment chez des patients atteints de comorbidités, les experts de la HAS privilégient une « approche de maturation psychologique » qui permette au patient d’arriver lui même à la décision. « Ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que le tabac est une drogue et qu’à ce titre, il modifie le fonctionnement psychologique d’un individu dans le champ de sa drogue », explique le Pr Ouazana. Avec, à la clé, une déformation du jugement du fumeur vis-à-vis de son tabagisme qu’il continue à percevoir comme un choix de sa part plutôt que comme une maladie. à l’inverse du diabétique ou de l’hypertendu, le fumeur a donc tendance à accepter beaucoup moins facilement la prise en charge.
Un entretien motivationnel
D’où l’intérêt de l’entretien motivationnel (EM) estime la HAS. Cette approche relationnelle centrée sur le patient, a pour but de susciter ou de renforcer la motivation au changement. « La littérature montre que l’EM augmente la probabilité d’arrêt, plus encore que le conseil bref d’arrêt. »
Quoi qu’il en soit, une fois la décision de sevrage prise, l’accompagnement par un professionnel de santé est la prise en charge la plus efficace, estime la HAS. De fait, seuls 3% des fumeurs qui tentent d’arrêter en solo y arrivent contre 20 à 30% des patients aidés.
Pour les experts l’accompagnement psychologique est la base de la prise en charge du patient. « L’idée n’est pas forcément de proposer une psychothérapie structurée à tous les candidats au sevrage, précise le Pr Ouazana, mais plus un accompagnement et une guidance dans leur démarche. » Basée sur l'empathie et la confiance, cette thérapie de soutien « comprend une dimension directive de conseil, d'information et d'explication qui, associée à l’écoute, représente une fonction thérapeutique essentielle dans la pratique du médecin généraliste », souligne la HAS. En pratique, il est recommandé que cet accompagnement se fasse dans le cadre de consultations dédiées avec un suivi hebdomadaire puis mensuel pendant les 3 à 6 mois suivants.
En cas de dépendance, la HAS préconise d’associer l’accompagnement psychologique à un traitement médicamenteux. En 1re intention, les recommandations donnent toujours la préférence aux substituts nicotiniques. « Les autres traitements que ce soit la varénicline ou le buproprion ont largement leur place mais au vu des données encore un peu contradictoires sur les bénéfices et les risques, nous ne pouvons
les recommander qu’en seconde intention », indique le Dr Grouchka. Cependant, « les choses évoluent et cette recommandation pourrait rapidement être réactualisée ». En d’autres termes si les données plutôt rassurantes des dernières études se confirment, ces traitements pourraient bientôt faire jeu égal avec les substituts nicotiniques comme le réclament déjà certains tabacologues.
Quant à la fameuse e-cigarette, la HAS se déclare ni pour ni contre. Le vapotage n’est clairement pas recommandé à ce jour comme outil d’aide à l’arrêt du tabac, car son efficacité et son innocuité notamment au long cours n’ont pas été suffisamment évaluées. Les experts considèrent cependant « sa toxicité beaucoup moins forte qu’une cigarette » et estiment que l’utilisation de la e-cigarette « chez un fumeur qui a commencé à vapoter et qui veut s’arrêter de fumer ne doit pas être découragée. » Mais là encore la donne pourrait changer rapidement...