Leurs bons résultats aux ECNi leur permettaient d’accéder à toutes les disciplines mais ils ont opté pour la médecine générale. Par vocation, attirés par la diversité du métier, désireux de quitter l’hôpital ou séduits lors de stages en cabinet, Délia, Rémi ou Amandine, tous classés dans les 500 premières places, ont fait ce choix. Ils ont confié leurs raisons au Généraliste.
Les 8 706 étudiants classés aux dernières épreuves classantes nationales informatisées (ECNi) ont commencé mardi à choisir en ligne sur le site du Centre national de gestion (CNG) leur spécialité d’internat. La procédure se poursuivra jusqu’au 25 septembre.
Le moment est important. Pendant ces trois semaines, les nouveaux internes sélectionneront la spécialité qu’ils exerceront majoritairement pendant toute leur carrière.
Longtemps, la médecine générale a été considérée comme un choix par défaut. En effet, la spécialité ne figure pas en tête des plus attractives (lire encadré) mais elle séduit chaque année des étudiants très bien classés aux ECNi. Selon les données collectées par le CNG, ils sont en cette rentrée 36 sur les 1 000 premiers à vouloir être médecin de famille (ils étaient 59 sur les 1 000 premiers en 2013, 46 l’an dernier).
Pas toujours facile à assumerLe Généraliste a interrogé plusieurs candidats ayant terminé dans les 500 premières places aux dernières épreuves classantes – et qui pouvaient donc prétendre aux 44 spécialités d’internat – sur les motifs de leur préférence pour la médecine générale.
Délia Bonis, 62e aux ECNi 2018 et première interne à avoir retenu la médecine générale à Toulouse, mais aussi Rémi, Lucie, Manon et Amandine ont confié leurs envies, craintes et espoirs avant de prendre leur poste en novembre. En cette période difficile pour la profession, marquée par une crise démographique sans précédent et un bouleversement dans son organisation, se tourner vers la médecine générale n’est pas aisé.
« Notre second cycle est polarisé sur les ECNi et les étudiants ne réfléchissent pas assez à leur projet professionnel, explique Clara Bonnavion, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). L’orientation est délaissée et on constate un effet d’entraînement vers les disciplines les mieux classées. Il faut changer cet état d’esprit. »
Des porte-étendards notoires
La médecine générale est certes devenue une spécialité comme les autres, accessible par un DES, mais elle reste brocardée dans les facultés et les stages, déconsidérée par les enseignants.
« Pendant les études, les profs nous disent : dans cet amphi, 50 % seront généralistes. Ensuite, quand ils demandent qui dans la salle veut être omnipraticien, personne ne lève la main », observe Lucie Berthomé, 203e aux dernières ECNi, qui sera interne à Nantes. Il fut un temps pas si lointain où les premiers étudiants qui optaient pour la médecine générale en "amphithéâtre de garnison" étaient sifflés. Cette mauvaise image est renvoyée jusque dans certains dossiers cliniques des ECNi, où l’intitulé expose des erreurs de prescription des généralistes.
Cela n’a pas altéré la détermination des plus motivés. Et certains internes en vue sont devenus des porte-étendards de la médecine générale, à l’instar de Marine Lorphelin. L’ex-miss France 2013 (3 795e aux ECNi) a opté pour la médecine générale en Île-de- France. Elle vante régulièrement les mérites de la spécialité sur les réseaux sociaux.
Aviscène, interne lillois qui s’est fait connaître par ses vidéos, est lui aussi un fervent défenseur de la spécialité. Il y a un an, il publiait un billet sur Facebook pour expliquer combien il lui avait été difficile d’assumer son choix. En raison de son classement honorable, des proches le projetaient dans une spécialité jugée plus noble. En plein doute, l’étudiant a été convaincu par une amie, elle aussi bien classée, et qui s’était tournée vers la médecine générale.
« J’allais faire la bêtise de prendre une spécialité pour avoir une belle étiquette, une plaque avec mon nom et où on lirait “cardiologue”, “rhumatologue” ou autre, [...] relate l’interne. J’ai compris que le poids de l’image et mon égo influaient négativement sur mes choix. »
L’importance du stage chez le praticien
Les internes interrogés assument pleinement leur décision, souvent prise depuis longtemps.
« 81 % des étudiants avaient déjà choisi leur future spécialité au moment de passer l’internat », souligne le Dr Jean Rodriguez dans sa thèse soutenue en juin dernier sur les déterminants au choix de la médecine générale à Toulouse. Son travail compile les résultats d’une enquête à laquelle ont répondu 543 étudiants de la ville rose ayant choisi la spécialité entre 2014 et 2017 (deux tiers de femmes).
Sans grande surprise, le désir de devenir omnipraticien est en grande partie issu des contacts des étudiants avec la spécialité. « 89 % des sondés avaient fait un stage chez le médecin généraliste au cours du DCEM », précise la thèse.
« Les stages chez le praticien pendant le deuxième cycle permettent de casser certaines représentations sur la difficulté du métier ou la charge de travail, explique Maxence Pithon, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). Les étudiants réalisent la diversité du métier, la possibilité de se fixer un cadre de travail (horaires) et de très bien s’en sortir sans vivre un calvaire. »
Une relation privilégiée avec le patient
Preuve que la spécialité suscite de plus en plus l’adhésion, 75 % des étudiants toulousains auraient choisi la médecine générale même s’ils avaient eu un classement aux ECNi leur permettant de sélectionner n’importe quelle spécialité, relève Jean Rodriguez dans sa thèse (contre 69 % entre 2011 et 2013).
Parmi les éléments qui ont motivé leur volonté de devenir généraliste – ils pouvaient en retenir trois –, les internes citent la relation médecin-malade (63 %), la diversité de l’exercice (52 %), la spécificité de la spécialité (42 %), l’attrait du libéral (41 %) et – dans une moindre mesure – la vocation (35 %).
« Les étudiants veulent une médecine de proximité, avoir des patients qu’ils connaissent et pourront suivre au long cours », explique Clara Bonnavion (ANEMF). Plusieurs éléments auraient pourtant pu entraver ce choix : la dévalorisation de la médecine générale (63 %), l’isolement (63 %) les horaires contraignants (40 %), la rémunération moins importante (29 %), le consumérisme (28 %) ou les problèmes de démographie médicale (22 %).
« La spécialité est un choix positif pour 80 % des internes, conclut Maxence Pithon. Les stages confortent souvent leur intérêt pour la spécialité et les aident à se projeter. » Bien classés ou non, les futurs internes en médecine générale (62 % étaient des femmes l’an dernier) exerceront un métier choisi et non subi.
UNE SPÉCIALITÉ STATISTIQUEMENT PEU ATTRACTIVE
La médecine générale fait figure de mauvaise élève en termes d’attractivité. Elle est l’une des moins prisées pour l’internat, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES, ministère de la Santé). En 2016, la spécialité était avant-dernière du classement, juste devant la médecine du travail et derrière la biologie médicale avec un indicateur de 0,83 (contre 0,10 pour l’ophtalmologie, qui devançait la néphrologie et la médecine interne). Cet indicateur, calculé à partir des choix de spécialité et de subdivision des étudiants, stable depuis 2013, est à relativiser puisque le volume important de postes ouverts en médecine générale (3 577 en 2016) ne nécessite pas de finir en haut du classement pour obtenir une place. « Nous accordons peu d’importance à cet indice statistique discutable, ne traduisant pas la motivation des futurs généralistes, explique Maxence Pithon de l’ISNAR-IMG. Ces derniers travaillent par exemple sur la relation médecin-malade qui n’est pas valorisée dans les ECNi. »
La médecine générale a toutefois plus la cote chez les femmes. En 2016, parmi celles qui ont le choix entre toutes les spécialités, (27 % des candidates classées) la médecine générale a été la plus choisie (12 %). Le choix de la discipline va de pair avec celui de la subdivision. Ainsi, selon le classement de What’s Up Doc, les facultés les plus prisées pour l’internat en médecine générale l’an dernier étaient Nantes (rang moyen 3 729), Grenoble (4 012), Lyon (4 121), Bordeaux (4 293) et Rennes (4 392).