Depuis les années quatre-vingt, les systèmes d’information ont révolutionné le monde de l’entreprise et des organisations avant d’impacter le grand public. Aujourd’hui, il serait « anormal » de croiser un citoyen sans un téléphone mobile « greffé » à l’oreille. On rappellera pour l’anecdote qu’une seule recherche sur Google représente la puissance de calcul combinée de toutes les missions Apollo et Gemini des années cinquante-soixante.
Moore is more
La profession d’infirmière répond aux mêmes règles d’évolution et l’Histoire s’apprête à écrire un chapitre nouveau de ce métier remarquable. Les corporatismes lamarckiens cèdent peu à peu le pas à l’adaptation darwinienne selon le principe de réalité. Rappelons qu’il fut une époque où les infirmières n’étaient pas habilitées à faire un prélèvement des gaz du sang. L’infirmière, il faut s’en réjouir, représente le chaînon du soin relationnel et de la coopération. Alors que l’État privilégie la coordination dans les territoires, on peut raisonnablement s’attendre à une réorganisation de la prise en charge des patients avec un changement de périmètre de l’activité du corps infirmier.
Überisation de la santé
De nombreux signaux viennent abonder cette perspective que sont la multiplication des déserts médicaux, la désaffection croissante des médecins pour le soin de proximité, les urgences, les gardes mais aussi la baisse attendue du nombre de praticiens (- 10 000 pour 2020) selon le Conseil national de l’ordre des médecins. Les instruments de télésanté viennent corroborer cette tendance pour le soin à domicile ou en structures de long séjour avec le support de l’expertise de télémédecine. Les besoins, axés notamment vers les pathologies chroniques – et donc le risque long –, changent les usages et obligent les décideurs politiques à modifier leur vision, contraints qu’ils sont par le coût des prises en charges et l’avènement des réseaux sociaux ou de « l’ubérisation » de la santé.
Il y a donc sans doute « une place à combler utilement entre un médecin formé à bac + 14 et une infirmière à bac + 3 », selon le Professeur Henry Coudane, doyen de la faculté de médecine de Nancy. Ce saut quantique, attendu par la profession, passe par une formation incluant les usages numériques encore parents pauvres des études de santé au sens large et de la formation professionnelle. Le temps n’est pas si loin où pourrait apparaître une fracture numérique entre des patients connectés et leurs soignants.
Délégation de tâches au Québec
Pourtant on peut signaler bien des domaines où le changement de paradigme serait utile, générateur d’économies intelligentes et d’efficience. Citons le 811 pour la gestion des urgences au Québec à la main d’infirmières formées par des urgentistes, la dialyse rénale à domicile, le suivi du diabète, la rééducation fonctionnelle, etc. que, servis par une instrumentation numérique minimale, les infirmières pourraient améliorer.
Le manque de vision, certains corporatismes, l’incompréhension devant la nature de la dématérialisation et un défaut de courage politique depuis longtemps ont privilégié les coupes budgétaires progressives de type purement comptable. Problème de moulage culturel des élites sans doute. « Il n’est pas sûr que changer le pansement soit plus efficace que de penser le changement », disait Francis Blanche avec bon sens. L’immobilisme en période de révolution technologique laisse grande ouverte la porte au « système D », voire pire où les Français sont champions du monde.
Gardons en mémoire que le volume de données produites chaque année depuis 2013 est l’équivalent de la masse d’information produite depuis l’aube de l’humanité et que 80 % des technologies auront changé dans le temps – 3 ans – de la production effective d’une loi. Il est urgent de repenser notre modèle selon une vision d’ensemble à caractère prospectif avec au centre les infirmières, profession parmi les préférées des Français et les former solidement aux usages numériques.
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