En direct des sociétés savantes

Errance diagnostique : bonnes et mauvaises solutions

Par
Publié le 13/02/2024
Article réservé aux abonnés

Les maladies génétiques bénéficient de la massification des tests avec, à la clé, l’espoir de réduire l’errance diagnostique, mais aussi la tentation commerciale et les tensions éthiques. Revenons à la base : le soin, par les soignants.

Si les maladies sont rares, les patients ne le sont pas

Si les maladies sont rares, les patients ne le sont pas
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Les progrès de la génétique transforment la vie de nombreuses personnes malades. Le plus souvent, le temps du diagnostic est long. Dans l’attente – parfois des années –, la maladie évolue et le recours aux urgences et au système de soins est plus fréquent, et moins adapté.

L’errance diagnostique concerne de nombreux patients souffrant de maladies chroniques ou rares. Car, si les maladies sont rares, les patients ne le sont pas : on considère qu’il y en a plus de 3 millions en France, sans compter les aidants.

Évolution rapide des techniques et savoirs

L’État s’est saisi du problème et a fait de l’errance diagnostique, au sens large, un objectif de plusieurs plans de santé publique.

Les plans “maladies rares” successifs ont permis une organisation des ressources sur tout le territoire, ainsi que la structuration d’une offre de soin de qualité avec des praticiens experts, agréés par l’Agence de la biomédecine (ABM). Le plan France médecine génomique 2025 fait de la médecine personnalisée un objectif pour chacun. La majorité des maladies chroniques ont en effet des bases moléculaires accessibles à un diagnostic génétique et, de plus en plus souvent, à un traitement spécifique ; beaucoup sont des maladies génétiques, rares ou très rares, que nous connaissons mal.

Chacun des acteurs de première ligne a un rôle à jouer. L’évolution des techniques et des connaissances justifie un réexamen régulier des données : les médecins doivent être informés de l’avancée des connaissances. Non pas pour se livrer à des examens génétiques sans retenue mais pour ne pas laisser passer le bon moment pour avoir recours à un avis spécialisé, ou à un centre de référence.

Le troisième plan national “maladies rares” sensibilise autour « d’un diagnostic pour chacun » en mobilisant tous les acteurs, sans oublier les patients.

Des masses de données s’accumulent

Ces dernières années, le paysage a changé. L’utilisation des études pangénomiques a radicalement transformé l’errance diagnostique et s’accompagne, par ailleurs, de nouvelles tensions éthiques, comme lors de la découverte d’un résultat sans relation directe avec l’indication initiale de l’examen.

En France, plus de 400 000 personnes ont bénéficié d’un examen de génétique en 2022. Ce n’est que récemment, en 2024, que l’ensemble des décrets de la loi relative à la bioéthique, promulguée en août 2021, ont été publiés. L’ABM a proposé des recommandations de bonnes pratiques dans le domaine du diagnostic anténatal, qui vont bientôt s’étendre aux caractéristiques génétiques des personnes et à la place des conseillers en génétique.

Malgré l’avancée des connaissances, une partie des variants du génome est encore de signification inconnue, et ne permet pas d’apporter la réponse diagnostique. Mais la somme des données génétiques, couplées, via l’intelligence artificielle, à beaucoup d’autres, cliniques, comportementales, biologiques (épigénome, transcriptome, protéome), à l’imagerie, et aux autres mesures physiologiques – dont certaines obtenues par des objets connectés –, va contribuer à alimenter des bases de plus en plus volumineuses.

Une menace sérieuse

Dans ce paysage qui se précise, les dérives émergentes nous interrogent sur les motivations des acteurs, souvent pécuniaires, et sur la vulnérabilité du public, négligée.

Les tests génétiques en population générale, en accès libre, proposent une nouvelle grille de lecture sur la personne, réductionniste sur l’identité, puisque ses marqueurs sociaux et historiques s’effacent devant l’affirmation génétique.

Alors que les entreprises de tests ADN gagnent des sommes considérables, les consommateurs, qui paient pour ce qu’ils possèdent déjà, ne reçoivent (presque) rien. Ils n’ont en général aucune idée de l’endroit où leur identité génétique est envoyée, où leurs données sensibles sont stockées et comment elles sont valorisées commercialement. Le marché de biomanagement s’organise dans la captation de publics acheteurs de tests (via la publicité, le marketing, les influenceurs) et la gestion des stocks de ressources biologiques accumulés dans les biobanques. Le grand public est ciblé, sans qu’on préjuge d’une autre motivation que le récréatif ni qu’on se préoccupe des conséquences extra-médicales.

« Les consommateurs paient pour ce qu’ils possèdent déjà et ne reçoivent (presque) rien »

Pr Michel Tsimaratos

Très récemment, le piratage de la société 23andMe, associant les données génétiques à l’adresse postale et des informations personnelles telles que la religion, a diffusé sur internet de très nombreuses informations, dont celles de nombreux Français. Citons aussi la création d’un site (aux États-Unis) qui recense d’hypothétiques difficultés (filiations, découverte d’inceste, guerres d’héritage…) apparues à la suite de ces tests généalogiques réalisés dans un but récréatif.

Chez nous, ce véritable phénomène de société fait déjà l’objet d’un film (Cocorico, 2024), qui illustre tant l’intérêt du grand public que sa méconnaissance des enjeux.

Pour ne pas se perdre en s’exposant à cette multitude de risques peu connus, l’ABM propose le site Génétique médicale, qui rappelle le contexte réglementaire et s’efforce d’apporter des informations didactiques sur les risques d’utiliser ces offres commerciales plutôt que l’offre médicale encadrée en France. Car les meilleurs gardiens sont évidemment les soignants, acteurs de première ligne en santé.

Pr Michel Tsimaratos (directeur général adjoint de l’Agence de la biomédecine)

Source : Le Quotidien du Médecin