Alors qu’un projet de loi sur la fin de vie est annoncé pour « la fin de l’été 2023 » et que les travaux parlementaires ont démarré, l’Académie de médecine apporte sa contribution au débat*. Dans un avis adopté le 27 juin et rendu public ce 17 juillet, elle exclut le recours à l’euthanasie, mais se prononce pour une reconnaissance de l’assistance au suicide sous « conditions impératives » : maintien du cadre existant en cas de pronostic vital engagé à court terme, renforcement des soins palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie et protection des plus vulnérables par des dispositions « très strictes » encadrant notamment la prise de décision.
L’Académie estime d’abord que le cadre juridique actuel, et notamment la loi Claeys-Leonetti de 2016 (directives anticipées, interdiction de l’obstination déraisonnable, sédation profonde et continue jusqu’au décès), « n’a pas à être modifié », même si la connaissance de ces droits par les patients et leurs proches reste à améliorer.
Dépasser les lacunes actuelles
L’Académie déplore néanmoins un « décalage inacceptable » entre la loi et son application : offre d’accès aux soins palliatifs inégale, méconnaissance des dispositions par les professionnels de santé, faible usage des directives anticipées, hétérogénéité des pratiques de la sédation malgré les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS).
Surtout, elle constate la « persistance de situations de détresses physique et psychologique de personnes souffrant de maladies graves et incurables dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme ». Pour « ne pas laisser sans réponse cette désespérance inhumaine », elle juge « raisonnable » une « incorporation prudente et encadrée d’un nouveau droit » visant à « aider à mourir le moins mal possible ».
Tenant « compte de la volonté du législateur de modifier le cadre actuel de la loi sur la fin de vie », l’Académie insiste sur les « indispensables garanties » qui devront accompagner un droit à une assistance au suicide. Contrairement à l’euthanasie où un produit létal est administré au patient par un tiers, l’assistance au suicide, où le patient s’administre lui-même le produit, « laisse le choix au patient de prendre ou non le produit jusqu’à la fin », est-il souligné.
Opposition à l’euthanasie
Opposée à une dépénalisation de l’euthanasie, l’Académie l’envisage seulement via une « dérogation exceptionnelle » pour « les très rares personnes dans l’incapacité de pratiquer elles-mêmes l’acte suicidaire ». La décision pourrait alors revenir « soit à une juridiction collégiale, soit à un magistrat spécialisé afin de ne pas la faire porter aux seuls professionnels de santé, en dissociant ceux qui soignent de ceux qui décideraient l’euthanasie ».
Pour encadrer l’ouverture d’une assistance au suicide, l’Académie se réfère au modèle de l’État de l’Oregon (États-Unis) qui pose quatre prérequis : une évaluation collégiale en amont de toute décision ; une exclusion des maladies psychiatriques, des états dépressifs, des pertes de discernement, des mineurs ; un accès aux soins palliatifs avec participation de leurs équipes à la décision ; et une autorisation et prescription sans administration du produit létal par les médecins et soignants. Ce dernier point « conduit à une ultime liberté de choix pour le patient », alors que « 40 % des personnes autorisées à recourir à l’assistance au suicide ne mènent pas ce projet à son terme », est-il relevé.
Concrètement, l'Académie plaide pour une procédure de décision « obligatoirement » collégiale. L’examen des demandes « dans un délai suffisamment court » devra dépendre « du lieu de la fin de vie (domicile, hôpital, Ehpad…), de l’âge (enfants, sujets âgés, personnes en situation de handicap…) et de la nature de la maladie ou du handicap », précise l’Académie. Et de recommander que l’évaluation multiprofessionnelle réunisse « au moins deux médecins ». À domicile, la décision pourra intervenir « avec trois professionnels de santé (dont un médecin et un personnel soignant chargés des soins du patient), et une personnalité extérieure compétente (par exemple un médecin spécialiste en psychiatrie, un psychologue) dans le domaine concerné », est-il ajouté.
Une clause de conscience spécifique
L’Académie tient en revanche à exclure de cette indication « les troubles psychologiques, l’état dépressif, le grand âge avec troubles cognitifs avérés, les maladies et handicaps avec altération de la capacité de jugement ». Pour les personnes souffrant de handicap, qui « reçoivent le message de choisir librement leur mort comme une violence », l’« exigence absolue » est de les protéger « par les garanties apportées, par des dispositions protectrices très strictes ». Concernant les mineurs, « dont les parents ne sauraient avoir à supporter une douloureuse prise de décision », l’Académie insiste sur « l’immense attention » qui doit être portée à leur situation.
« En cas de difficultés, d’incertitudes ou de conflit familial, le recours à une juridiction ou à un magistrat spécialisé pourrait être une solution », avance l’institution. Elle réclame également la reconnaissance dans la loi d’une clause de conscience pour les soignants opposés à une assistance au suicide. Enfin, insistant sur l’urgence de rendre effective la loi actuelle, elle appelle à la vigilance sur l’impact de dispositions nouvelles sur les mesures en place.
*La position de l’Académie fait suite à une série d’avis et de recommandations : avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en septembre, conclusions de la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Léonetti en mars, avis de la Convention citoyenne en avril, rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) en mai, synthèse des travaux de la Conférence nationale des Espaces de réflexion éthique régionaux (Cnerer) en avril et enfin, positions de la Société française de soins palliatifs et l’Ordre national des médecins.
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