Est-il possible de soigner par-delà le bien et le mal, dépouillé des contraintes morales ? Les soignants peuvent-ils mettre en pratique les écrits de Frédéric Nietzsche, qui compare philosophe et médecin ? Penser le corps peut-il le soigner ? Autant d’interrogations qu’explore le documentaire Les docteurs de Nietzsche de l’Argentin Jorge Leandro Colás.
Rien de taiseux ni d’abstrait dans ce film sorti l’été dernier en Argentine et lauréat du prix du meilleur montage au Festival international du cinéma indépendant de Buenos Aires. La caméra suit le Dr Esteban Rubinstein, généraliste à l’hôpital Italiano de la capitale, dans ses consultations avec trois patients, puis lors de discussions avec d’autres médecins de l’établissement. « Nietzsche m’a rebuté » au début, tant il détruit à coups de marteau les valeurs de la formation médicale, de la vérité, de la science, confie le professionnel de santé à ses pairs. Désormais, face à un patient, il adopte une pratique critique de la médecine, qui tente de se rapprocher au plus près de ce que les patients sont et désirent, ici et maintenant.
Cause et culpabilité
La lecture du philosophe allemand, puissant pourfendeur des notions de « bien » et de « mal », interroge les soignants sur leur rapport à la morale. « Nous, médecins, disons tout le temps le bien et le mal. Une patiente nous dit que son bébé dort dans son lit auprès d’elle, et nous faisons une tête », observe une médecin du staff. « Mais que nous reste-t-il si on ne dit pas cela ? », s’interroge un autre. Le Dr Rubinstein fait part à ses confrères du lien mis en évidence par Nietzsche entre cause et culpabilité et de l’influence de la religion judéo-chrétienne dans la médecine. Faut-il culpabiliser un fumeur ? « Pourquoi ne pas le laisser tranquille ? », demande le généraliste. Et si la médecine n’était qu’un mode de discours parmi d’autres, tout comme la « vérité » ?
De fait, face à un patient soixantenaire qui lui dit fumer « car il est imbécile », le médecin se défend de juger. « Ce n’est pas une question qui me préoccupe aujourd’hui… En tant que médecin, oui vous devez arrêter de fumer. Mais je n’effraie pas les patients. » Et de le laisser face à ses responsabilités. Quitte à le déstabiliser…
Car les consultations individuelles du Dr Rubinstein montrent l’hésitation, voire l’incompréhension de certains patients face à l’attitude peu convenue du généraliste. C’est le cas lorsque ce dernier questionne la volonté d’un homme en fauteuil roulant de comprendre l’accident de la route qui l’a conduit dans cette situation. Ou qu’il lui dit son ignorance face à ce que peut le corps. « Je ne sais pas, je n’ai pas de réponse à vous donner sur votre état de santé », lâche le Dr Rubinstein.
Point de morgue chez le médecin, pour autant, puisqu’il retourne la critique sur lui-même. Dans quelle mesure Nietzsche ne devient-il pas un dogme ?
Le documentaire, ponctué d’images évocatrices de la pensée de Nietzsche liée à la musique et à la danse, laisse ouvertes ces questions. Un espace de liberté pour le spectateur, qui fait écho aux chemins libératoires qu’empruntent patients et médecins, malgré les protocoles et normes dictés par l’institution médicale. « Le médecin court après la vie, non après la vérité », rappelle le Dr Rubinstein citant Nietzsche.
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