Un hélicoptère jaune zèbre le ciel de Marseille et s’approche de l’hôpital de la Timone. La première image trouvera un écho dans les derniers plans du film Revivre de Karim Dridi, en salle ce 28 février. Entre ces deux évocations de l’arrivée d’un greffon, la caméra enregistre l’attente de deux jeunes couples dont les bébés dépendent d’une transplantation d’organe pour leur survie.
« J’avais vu de très beaux films sur les soignants ou les enfants. Mais pas sur les parents. C’est pourquoi j’ai eu envie de filmer ces couples qui ont un premier enfant et se retrouvent du jour au lendemain en réanimation, loin de tout ce à quoi ils avaient pu s’attendre », explique au Quotidien Karim Dridi. Le réalisateur a filmé 37 familles, durant seize mois (200 heures de rush), avant la pandémie de Covid. Deux restent dans la version finale : les parents de Luna, 9 mois, qui souffre d’une insuffisance hépatique grave, et ceux de Sélim, 3 mois, en attente d’un nouveau cœur. « Le parti pris esthétique et humain fut de trouver la bonne distance : ni trop proche, ni trop loin. Avec de l’empathie pour les gens. En s’autorisant à ne pas filmer certaines choses. On devient ainsi invisible », précise le cinéaste, qui a tourné seul avec son ingénieur du son.
Ce que les soignants ne voient pas des parents
Pudique, dénué de voix off, le film ausculte le pouls des parents qui bat au rythme des annonces des médecins de la réanimation pédiatrique. Il montre ainsi le hors-champ : ce que les soignants ne voient pas quand ils quittent la chambre d’un patient. Il y a les sentiments ambivalents : « Je ne sais pas comment je me sens, entre la panique et l’euphorie », souffle la mère de Luna. Le malaise propre à l’attente d’un don, synonyme de décès d’un autre enfant. « On pense aux parents qui ont perdu cet ange. On en a beaucoup parlé entre nous », confie le père de Sélim. Ou encore, les tentatives d’interpréter les réactions du corps médical et d’y lire un pronostic.
Au fil du temps, les parents deviennent experts de la pathologie de leur enfant et acteurs du soin. Des grands principes rappelés dans les manuels et les facultés de médecine, mais qui sont ici incarnés dans un quotidien où s’invitent des considérations communes à tous les couples : préoccupations financières, fatigue et charge mentale, soucis professionnels ou familiaux…
Parole juste des médecins
La parole du corps médical, si elle n’est pas au centre du film, est déterminante dans le vécu des parents. Elle se caractérise avant tout par l’honnêteté, la rigueur, la volonté de ne pas créer de faux espoirs. « Il y a un vrai risque hémorragique, c’est-à-dire de décès, sur la table et en post-opération », indique l’anesthésiste aux parents de Luna. « Le Dr Fabrice Ughetto a été le seul à accepter d’être filmé lors d’une annonce ; ce qu’il a trouvé très formateur pour lui-même », se souvient Karim Dridi.
Penchée sur Sélim, dont le cœur ne parvient pas suffisamment à battre pour s’affranchir de l’appareil et de la perspective d’une transplantation, une autre médecin se justifie auprès des parents effondrés : « je ne veux pas vous donner de faux espoirs. Ça va, vous ne me détestez pas ? ». Quelques mois avant, ils avaient été tout aussi sincères : « On va vivre ensemble pendant un an. Oui, Noël sera à l’hôpital et pas à la maison ».
Irradient enfin la bienveillance et le soutien des médecins à l’égard des familles. « Votre boulot, c’est de faire revenir Sélim dans le monde des vivants ! », encouragent-ils. Sans parler de leur dévouement pour tenir les parents informés du déroulé de l’opération en pleine nuit, comme une main tendue qu’ils ne lâcheront pas. Et grâce à laquelle les petits et leurs parents vont « revivre ».
« Ce film a changé mon regard sur la vie », assure Karim Dridi, en défendant plus que jamais l’hôpital public et les soignants qui y exercent. L’Agence de la biomédecine, partenaire symbolique, entend s’en servir pour ouvrir le dialogue autour du don d’organe en pédiatrie. « Stéphanie, la mère de Sélim, a accepté d’être filmée pour aider d’autres familles qui traversent une épreuve similaire. Et les médecins estiment que ce documentaire devrait être montré dans les facultés. C’est à eux de s’en emparer aujourd’hui, pour qu’il (re) vive ! », conclut Karim Dridi.
Entre documentaires et fictions
Né à Tunis d’un père tunisien et d’une mère française, Karim Dridi se fait remarquer en 1992 avec son court-métrage Zoé la boxeuse. En 1995, il réalise ses deux premiers longs-métrages, Pigalle, en compétition au Festival de Venise, et Bye-bye, sélectionné dans la section Un certain regard à Cannes et couronné du prix de la jeunesse. Il réalise ensuite deux documentaires, un sur Johannesburg, Impression d’Afrique… du Sud, et un sur Ken Loach. Puis il tourne Cuba Féliz, road movie musical sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Dans les années 2000, Karim Dridi sort Fureur (2003), Khamsa (2007), Le dernier vol (2009) et Chouf (2015). Côté documentaire, il réalise en 2013 Quatuor Galilée, et entre 2018 et 2020, et avec Julien Gaertner, Hakawati, les derniers conteurs, un road-movie qui suit deux marionnettistes en Palestine.
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