Condamné à un avertissement pour avoir co-signé en 2018 une tribune contre les « médecines alternatives » : c’est la peine prononcée en appel par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, le 19 décembre, à l’encontre d’un généraliste breton qui avait paraphé cette tribune, une information révélée par nos confrères de l’agence APMnews. La chambre disciplinaire a estimé que la tribune participait certes d'un débat d'intérêt général mais jugé certains passages « excessifs », concluant à un défaut de prudence et un manquement à la confraternité.
Ladite tribune, publiée dans Le Figaro – et cosignée au final par 887 médecins – alertait sur les « promesses fantaisistes et l’efficacité non prouvée » de pratiques non-conventionnelles telles que l’homéopathie, l’acupuncture ou la mésothérapie. Cette prise de position avait eu un très large écho médiatique et, par ricochet, conduit au déremboursement de l’homéopathie dans la foulée d’un avis de la HAS de juin 2019 ayant conclu à l'absence d'efficacité avérée des médicaments homéopathiques.
Discrédit sur les médecines alternatives
L’Union Collégiale, le Syndicat de la médecine homéopathique (SMH), le syndicat des médecins indépendants libéraux européens (SMILE), le syndicat des mésothérapeutes français (SMF) ainsi que l’association pour l’utilisation rationnelle des médecines alternatives (AURMA) – avaient, dans la foulée, porté plainte auprès de la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins de première instance de Bretagne – jugeant que la tribune, portée par le collectif NoFakemed, était « litigieuse » et critiquait « sans prudence ni nuance » lesdites pratiques.
« Cette tribune jette le discrédit, d’une part sur les médecines complémentaires en les qualifiant de “pratiques ésotériques” , “inefficaces” , “irrationnelles” , “dangereuses” , “basées sur des croyances promettant une guérison miraculeuse et sans risques, et d’autre part sur les praticiens les utilisant en les assimilant à des “charlatans en tout genre qui cherchent la caution morale du titre de médecin pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire” et en les accusant de “charlatanisme” et de “tromperie” », pouvait-on lire. Par ailleurs, accusaient les auteurs de la plainte, le texte « se borne à lancer des insultes graves à l’encontre de l’homéopathie et des confrères la pratiquant sans la moindre objectivité et sans la moindre modération ».
Contraire à la confraternité ?
Face à ces accusations, l'Ordre saisi en première instance avait donné en partie raison aux plaignants en juillet 2019, condamnant ainsi le généraliste à un avertissement. Celui-ci avait fait appel de la décision. La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre, a qui le dossier a été transféré, a confirmé la sanction.
Dans le délibéré que le Quotidien a pu consulter, la juridiction ordinale reproche au généraliste d’avoir manqué au principe de l’article 3 du code de déontologie médicale, qui impose aux médecins de respecter – en toutes circonstances – les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine. La chambre retient aussi un manquement à l’article 56. Celui-ci prévoit que les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité et doivent se tenir assistance dans l’adversité.
« Certains propos figurant dans cette tribune excèdent, par leur ton, la pondération attendue des médecins lorsqu’ils s’expriment publiquement sur un sujet, écrit l’Ordre. De tels propos ne se bornent pas à mettre en avant l’inefficacité de ces pratiques mais mettent en cause de façon globale et indifférenciée, dans des termes qui ne peuvent être perçus par les intéressés que comme offensants, l’éthique de l’ensemble des médecins qui les mettent en œuvre et les accusent d’avoir une attitude dangereuse pour leurs patients. Ces propos, par leur caractère excessif, manquent au devoir de prudence et de prise en compte des répercussions auprès du public », lit-on. Dans sa décision, la chambre disciplinaire a rejeté l’appel et donc confirmé la sanction d’avertissement à l’encontre de l’omnipraticien.
Ça ne m’empêche clairement pas de dormir
Dr Vincent Ropars, généraliste sanctionné
Contacté ce vendredi par Le Quotidien, le Dr Vincent Ropars, généraliste à Plouvien (Finistère), dit prendre avec « philosophie » cet avertissement qui lui a été infligé. « Ça ne m’empêche clairement pas de dormir, ironise-t-il. Un avertissement, c’est quoi finalement ? Ne pas pouvoir se présenter aux élections ordinales pendant 5 ans ? D’ici là, est-ce que j’aurai encore envie de participer à la vie ordinale, avec un Ordre et des procédures disciplinaires qui mériteraient clairement d’être dépoussiérés ? Je n’en suis pas sûr (rires) ! »
Code utilisé pour lancer des « procédure baillons »
Pour le Dr Pierre de Bremond d’Ars, généraliste et président du collectif NoFakemed, acteur de la lutte contre la désinformation en santé, « cette décision est choquante et va à contresens de l’histoire au regard du déremboursement de l’homéopathie et de l’engagement de l’État et des Ordres dans la lutte contre la désinformation ». Cette condamnation en appel est d’ailleurs une première. « Jusqu’à maintenant, confie le praticien, seuls des médecins en première instance avaient été condamnés. Désormais, notre crainte et que cette affaire fasse jurisprudence et qu’il y ait une condamnation de l’ensemble des médecins signataires ».
Dans ce contexte, le collectif de médecins mobilisés contre la désinformation médicale réclame le soutien de l’Ordre dans ce combat et exige, en urgence, une clarification du fameux article 56 du code de déontologie sur la bonne confraternité. « Ce texte est fondamental pour la santé des médecins, recadre le Dr Pierre de Bremond d’Ars. Mais il est trop souvent utilisé pour lancer des procédures baillons, instrumentalisant la justice ordinale. Il ne faut pas qu’il empêche la critique saine et les débats scientifiques. »
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier