Juillet 2020, au Royaume-Uni, l’entreprise hVIVO et l'Imperial College de Londres font part de leur volonté de lancer un challenge infectieux avec l’espoir d’accélérer la recherche pour un vaccin contre le Sars-CoV-2. L’annonce fait grand bruit, nombreux sont les chercheurs qui émettent des réserves quant à la pertinence scientifique et l’éthique d’infecter des volontaires sains avec un virus alors méconnu, pour tester l’efficacité d’un candidat vaccin.
La période du Covid a donné un retentissement médiatique inédit à ces challenges. Elle a pris de court l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui s’est empressée d’établir en urgence des recommandations, en 2020 sur le Covid, et en 2021 sur tous les pathogènes confondus. Mais le recours à des volontaires sains dans la recherche est ancien. Par exemple, la démonstration de la transmission du paludisme par les moustiques a été confortée grâce à un challenge en 1900. « Les volontaires sains sont utiles et même indispensables à la recherche. Or il existe très peu de recommandations au niveau international pour les protéger à la différence des patients qui peuvent se prévaloir de la déclaration d’Helsinki (1964), observe François Hirsch, directeur de recherche Inserm et membre du comité d’éthique de l’institut, qui travaille sur le sujet au moins depuis 2018. Des pays n’ont aucune réglementation, les pratiques peuvent être totalement dérégulées ! »
En l’absence de recommandations internationales, les pratiques sont dérégulées dans certains pays
Une typologie riche et multiple
Première étape : comprendre ce que sont les recherches impliquant des volontaires sains. Selon François Hirsch, 50 % se déroulent aux États-Unis, puis en Asie et en Afrique. L’Europe ne concentrerait que 15 % de ces essais.
« La définition même du volontaire sain est problématique : certaines personnes peuvent être poly-affectées sans le savoir », note le scientifique. Et de préférer la définition suivante : « ce sont des personnes non malades au jour où ils se prêtent à une recherche. »
Les types de recherche avec volontaires sains sont nombreux. Y figurent des études de pharmacocinétique et de pharmacodynamique pour tester un nouveau médicament chez l’humain. « J’ai eu la surprise de voir, en siégeant à un comité de protection des personnes (CPP), un essai de phase 1 d’une nouvelle chimiothérapie pour suivre le devenir de la molécule dans l’organisme », illustre le professeur d’immunologie. Le laboratoire Hypoxie et physiopathologies (HP2) [Inserm, Université de Grenoble] teste à Lima au Pérou des médicaments permettant de mieux supporter la rareté de l’oxygène en altitude, auprès de travailleurs des mines. Puis viennent les essais vaccinaux, comme pour tester des sérums contre Ebola (en Guinée) et les challenges infectieux (des chercheurs de Pasteur en ont lancé un aux États-Unis contre Shigella, la France restant frileuse sur ce dispositif).
Les sciences humaines et sociales ne sont pas en reste. Épicentre, satellite de Médecins sans frontières dédié à l’épidémiologie, suit des cohortes de volontaires sains dans des camps de déplacés en Afrique pour explorer les conséquences des migrations sur l’hygiène, la santé mentale, la nutrition… L’Institut du cerveau et de la moelle à Paris recrute des volontaires sains pour tester des dispositifs médicaux favorisant le maintien à domicile. Sans oublier le programme 13 novembre qui compare les répercussions mentales, psychologiques et cérébrales des attentats de 2015 (Paris et Saint-Denis) sur les personnes directement exposées par rapport à un groupe de témoins non affectés.
Risques sanitaires et pressions financières
Or des recherches de ce type doivent veiller à respecter l’autonomie des participants, parfois vulnérables, en particulier sur le plan socio-économique. « En tant que Français, on imagine que les motivations sont altruistes, car nous sommes dans un modèle du don gratuit. Or c’est minoritaire. Dans la majorité des cas, à l’étranger, les participants sont motivés par un bénéfice économique, la promesse d’un accès aux soins et un suivi sanitaire, voire un avantage en nourriture », explique François Hirsch.
Les risques sont pourtant réels. En 2016 à Rennes, un participant volontaire à un essai clinique de phase 1 mené par le centre de recherche Biotrial pour le compte du laboratoire Bial, âgé de 49 ans, est décédé, après avoir pris cinq jours durant une dose de la nouvelle molécule testée (BIA 10-2 474). « Ces personnes parfois vulnérables ou qui se mettent en danger, ne sont pas représentées. Il n’existe aucune association. Nous avons voulu être leur porte-voix », assure le chercheur.
Quinze droits à adapter aux contextes locaux
La charte éthique est l’aboutissement de plusieurs mois de concertations, une initiative de l’Inserm nommée VolREthics, pour Volontaires en recherche et éthique. À partir d’une première réunion en distanciel, depuis le siège de l’Unesco en 2022, plusieurs groupes de réflexion se sont constitués en Afrique, Asie, Europe, États-Unis, Amérique Latine, séminaires à la clef. En avril 2023, un point d’étape à la Commission européenne fait apparaître la nécessité de recommandations. Un an plus tard, une charte est présentée à l’Académie de médecine, après avoir fait l’objet de discussions internationales, et avoir été soumise à un groupe de volontaires sains. « Elle est traduite en français, espagnol, portugais, bientôt chinois, hindi, bengali. On veut que cette charte soit diffusée le plus largement possible », s’exclame François Hirsch, co-signataire d’une correspondance dans The Lancet, parue en août (1).
Elle décline 15 droits à adapter aux contextes régionaux pour protéger les volontaires sains, à commencer par l’assurance que leur participation est justifiée d’un point de vue scientifique. Concrètement, les organisateurs des essais doivent réduire le nombre de personnes impliquées, en adaptant les méthodologies et en développant les alternatives. Les participants, et plus largement le public, doivent avoir accès aux données en toute transparence, à travers les bases existantes (clinicaltrials.gov, ICTRP pour l’OMS, etc.). Et les pays doivent encourager la formation d’associations portant les intérêts des volontaires sains tout au long du processus de l’essai clinique.
Pour éviter tout préjudice, plusieurs garde-fous sont posés. Les comités autorisant ces essais doivent inclure des membres formés au sujet ; les sites doivent être contrôlés, en termes de matériels et de personnels, et l’accent doit être mis sur le bien-être des participants. La surveillance de l’apparition d’effets indésirables doit être continue ; et si un évènement survient, le volontaire doit être suivi jusqu’à retrouver son état de santé initial, voire bénéficier d’un plan de soin. Les autorités sont invitées d’ailleurs à mettre en place un système de suivi à long terme des évènements indésirables. « L’équipe soignante, dans un esprit responsable, doit éviter que la personne ne reparte dans la nature », considère le membre du comité d’éthique. Une indemnisation sous forme de soins médicaux doit être prévue, a minima, en cas de préjudice lié à l’essai. « En France, nous avons des mécanismes d’assurance à la charge du promoteur. Il doit exister partout une procédure accessible pour qu’un volontaire ayant subi un dommage puisse réclamer des soins ou une compensation financière », commente François Hirsch.
Traduite en plusieurs langues, la charte pourra être diffusée le plus largement possible
François Hirsch, comité d’éthique de l’Inserm
Registres et juste compensation
Pour éviter la surparticipation, la charte recommande aux pays de mettre en place des registres permettant l’identification individuelle des participants – comme en France, au Royaume-Uni ou en Malaisie. « Ceci pour éviter que la personne ne participe à plusieurs études en même temps ou ne respecte pas le délai de “wash-out” entre deux essais, au détriment de sa santé… Et même de la qualité scientifique des études, dont les résultats peuvent être modifiés sous l’effet des interactions médicamenteuses ». A minima, « il faut un registre national, dans l’idéal transnational, ou par site de recherche », indique le scientifique, certains frontaliers s’inscrivant dans deux pays différents.
Trouver la juste compensation financière est un enjeu extrêmement délicat. « En France, la loi fixe le montant maximum par an pour chaque volontaire, à 6 000 euros, et les CPP regardent cette indemnité pour chaque dossier. Mais à l’étranger, certains participants en font un métier et peuvent gagner jusqu’à 30 000 dollars (27 000 euros) par an », met en perspective François Hirsch. La charte prévient : « toutes les compensations accordées à des volontaires sains peuvent potentiellement compromettre les résultats de l’essai en incitant, pour gagner plus d’argent, à la dissimulation de l’état de santé et des effets indésirables, ainsi qu’à la surparticipation », lit-on. Si le montant de la compensation est insuffisant, le risque est d’entraîner « l’exploitation de volontaires sains ayant de faibles revenus ». « Les primes de fin d’essai destinées à encourager les dernières visites en ambulatoire doivent être faibles pour ne pas compromettre le droit des volontaires à se retirer de l’essai à tout moment », est-il aussi précisé.
Enfin, François Hirsch insiste sur la transparence de l’information donnée au candidat à la recherche : « Est-ce qu’elle est suffisamment claire pour qu’il comprenne à quoi il s’expose ? ». Le directeur de recherche entend désormais faire vivre la charte pour qu’elle soit mise en pratique par les autorités, promoteurs d’essais et comités d’éthique de tous les pays. « Nous avons des séminaires, en Afrique, Asie, Amérique latine… Et nous envisageons de travailler avec l’Unesco et l’OMS pour présenter cet aspect encore méconnu, lors des formations à la recherche clinique ou à l’éthique », conclut-il.
(1) J. Fischer et al., The Lancet, vol 404, 10453, p 651, 2024
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