Tribune Jean-Pierre Blum

Facebook ou le refroidissement climatique, suites

Publié le 03/11/2022

Crédit photo : POOL

Pour le Sénat US, Facebook nous prendrait encore et toujours pour des chèvres. Manque de chance cela se voit. Certains mauvais esprits espèrent un vibrant hommage judiciaire à l’endroit de l’emblème du Meta l’envers. Le sénateur Mark « ballsy » Warner, démocrate, exige des réponses formelles par voie officielle à Mark Zuckenberg, PDG de Meta, sur ses pratiques en matière de collecte de données de santé alors qu’une Class Action monumentale menace le colosse aux pieds d’argile verte.

Après que le cours de Facebook s’est effondré de 72% en un an, le voilà qui ramasse un gadin historique à la bourse de New York en perdant en un seul jour 25% de sa valeur (71 milliards de dollars US) et son président 11.2 milliards de dollars US – pas de panique il lui en reste encore quelques dizaines -. Pendant ce temps, l’étau judiciaire se rapproche du capteur « d’expérience client », bien sûr « au seul profit » de ce dernier. D’ailleurs, « Facebook n’a jamais vendu de données mais mis à disposition des outils permettant d’y accéder ». (Audition Sénat US 2018).

Certains ont le glaive vengeur et le bras séculier

Patatras, ne voilà-t-il pas qu’un sénateur démocrate de Virginie ajoute à la pression exercée sur Meta à la suite des révélations sur son outil de suivi de données en ligne, Facebook Pixel, qui capture des informations de santé sensibles à l’insu du plein gré des patients et des établissements de santé les hébergent.

Le sénateur Mark Warner a écrit au PDG de Meta, Mark Zuckerberg, jeudi dernier, pour lui faire part de ses inquiétudes quant à licité de l'entreprise à obtenir des données telles que les conditions médicales, les dates de rendez-vous et les noms des médecins traitants, leurs assurances, etc.

La controverse n'a cessé de croître cet été et cet automne à la suite de révélations selon lesquelles des hôpitaux et d'autres prestataires de soins de santé ont intégré dans les portails des patients une technologie de suivi du web proposée par Meta et Google (voir notre précédent article du 28102022).

On rappelle qu’une étude très récente de la société de protection des données personnelles Lokker a révélé que plusieurs milliers d’hôpitaux américains, sites web de prestataires de soins de santé et portails de patients utilisent ces outils de suivi.

« Il est essentiel que les entreprises technologiques comme Meta prennent au sérieux leur rôle dans la protection des données de santé des utilisateurs. Sans action significative, je crains que ces violations continues de la vie privée et ces utilisations préjudiciables des données de santé ne deviennent le nouvel « état de l’art » dans les soins de santé et la santé publique », a déclaré Warner dans sa lettre à Zuckerberg. De l’art non mais du cochon oui serait-on tenté de dire.

La tribu des Panoupanous

Un porte-parole de Meta a répondu par voie de presse que « Les annonceurs ne doivent pas envoyer d'informations sensibles sur des personnes par le biais de nos outils commerciaux, car cela est contraire à nos politiques. Nous apprenons aux annonceurs à configurer correctement les outils professionnels pour éviter que cela ne se produise. Notre système est conçu pour filtrer les données potentiellement sensibles qu'il est en mesure de détecter ». En termes de probité intellectuelle c’est encore mieux qu’une ancienne Ministre de la Santé plus restée célèbre par son « responsable mais pas coupable » que par son action à l’avenue de Ségur. Décidemment, la propension et le courage à se défausser est parfois d’une élasticité confondante.

Nous avions indiqué récemment qu’Advocate Aurora Health, prestataire de soins de santé à but non lucratif majeur du Midwest, avait signalé aux autorités de réglementation fédérales, au début du mois, que l'utilisation de la technologie de suivi dans son portail Web et ses applications de planification constituait une violation de données et avait porté plainte.

Les hommes jettent des graines, les femmes les font pousser

Il est possible sinon probable qu’un bout de loi rétrograde – de notre point de vue - a allumé le feu. « La décision prise par la Cour suprême en juin dernier, qui a mis fin au droit à l'avortement dans tout le pays, a mis en lumière la sensibilité des informations relatives à la santé », explique l'avocate Maneesha Mithal, associée du cabinet juridique Wilson Sonsini Goodrich & Rosati et ancienne fonctionnaire de la Federal Trade Commission. « Ce feu ne s’éteindra pas car il est des conquêtes non négociables, celles de la Liberté ». Du moins dans la contrée démocratique.

Les organisations de reportage d'investigation à but non lucratif « The Markup » et « Reveal » ont rapporté en juin que « Meta recueillait des informations relatives à l'avortement sur ses utilisateurs et, par suite, les rendait accessibles. Lorsque les données sensibles relatives à la santé peuvent être vendues ou citées à comparaîtreelles constituent pour les services répressifs un moteur d'enquête hyperefficace, peu ou pas du tout coûteux », explique Steven Teppler, avocat spécialisé dans les technologies, du cabinet Sterlington.

Meta doit désormais faire face à au moins quatre propositions de recours collectif (Class Action) sur le point d'être regroupées en Californie, en rapport avec son utilisation de Facebook Pixel et la confidentialité des données relatives à la santé. Meta n'est pas le seul géant de la technologie à faire l'objet d'un examen minutieux concernant ses pratiques de collecte de données, par exemple Google. Mais, par peur de la Justice, pardon par civisme et humanisme, et la main sur le cœur – là où se trouve le portefeuille - certains fournisseurs de technologies commencent à répondre à ces préoccupations.

Hasard mais nécessité, en toute fin de cet été, Google a annoncé qu'il commencerait bientôt à supprimer l'historique des localisations relatives aux visites de personnes dans des établissements offrant des services de santé sensibles, dans le sillage de l'annulation par la Cour suprême de l'arrêt Roe v. Wade et alors que certains États commencent à interdire et à criminaliser l'avortement. On aime la morale et la prise en compte du Bien commun spontanées.

Décidemment tout ce qui est vert a du bon

Aux Etats-Unis, les avocats, eux-mêmes dotés d’un tropisme notablement désintéressé, s’empressent pour défendre la veuve, l’orphelin et les patients grugés. Ils savent – très bien - que la Justice à la main très lourde au plan financier – souvent en millions voire en milliards -. D’ailleurs, il est légal et courant que les services desdits avocats soient gratuits s’ils flairent la bonne affaire (40% des sommes obtenues). Les méchantes langues iraient presque jusqu’à affirmer qu’il y a « du vert dans les fruits ».

Facebook doit désormais faire face à une pression qui ressemble de moins en moins à de la mousse mais de plus en plus à une mise en bière. Peut-être un signe qu’on ne peut pas tout s’autoriser avec la vie privée des citoyens. Celle-là même qui avait disparue aux dires de Zuck.

En France, on aimerait revoir l’emblématique Isabelle Falque-Pierrotin, pugnace ancienne présidente d’une CNIL, dotée de vrais moyens de contrôles et appliquant de vraies sanctions, porter le fer dans les plaies des organisations privées et publiques - mais oui - qui s’affranchissent des règlements dument et solennellement votés. En attendant, pas vu pas pris. Certain de mes amis me disent outres Alpes que « la France on l’entend avant qu’on la voit ». Sont-ils méchants !


Source : lequotidiendumedecin.fr