Dr Anne Criquet-Hayot, généraliste, présidente de l'URML et de la FMF Martinique

Cabinets médicaux brûlés, pharmacies vandalisées, déprogrammation : « la santé des Martiniquais a été prise en otage »

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Publié le 10/12/2021
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Barrages des routes principales, saccages de cabinets médicaux, violences… Depuis plusieurs semaines, les Antilles françaises sont en proie à une crise sociale d'envergure. Le Dr Anne Criquet-Hayot, médecin généraliste installée au Robert (Martinique), présidente de l'Union régionale des médecins libéraux de Martinique (URML) et de la FMF Martinique, témoigne de la situation de ces dernières semaines.

Crédit photo : DR

Quelle est la situation actuellement en Martinique ?

Dr Anne Criquet-Hayot : Les barrages qui bloquaient les routes ont été levés vendredi dernier. Depuis les forces de police, la gendarmerie et le Raid en assurent la sécurité. Des négociations sont en cours entre les grévistes et l'État. Mais les quinze jours qui ont précédé cette levée ont été très compliqués. Beaucoup de routes sont restées bloquées par des grévistes, empêchant la libre circulation de la population. S’est ajoutée à cette problématique la pénurie d’essence qui a également compliqué le déplacement de la population.  

Cela a-t-il impacté l'accès aux soins de la population ?

Dr A.C.H. : De manière dramatique oui… Pendant plusieurs semaines, la santé des Martiniquais a été prise en otage. Les professionnels de santé ont rencontré des difficultés pour accéder à leurs lieux de travail à cause des barrages mis en place. Les médecins et les infirmiers qui devaient assurer des consultations à domicile ont été très souvent retardés à cause de cela. Il s’agissait pourtant de cas complexes comme des hospitalisations à domicile (HAD), des soins palliatifs ou des injections d’insuline ou de morphine. À l’hôpital, la situation elle aussi s'est aggravée. Les personnels de santé n’ont pas pu s'y rendre pendant plusieurs jours. L’établissement a donc été obligé de déprogrammer tout ce qui était programmable. Seules les urgences ont pu être prises en charge. L’hôpital était déjà fragilisé depuis la quatrième vague de Covid-19 mais cette crise sociale n’a fait qu’empirer l’accès aux soins de la population. Heureusement, la levée des barrages a calmé la situation. Désormais, la circulation est plus fluide mais nous sommes toujours en couvre-feu en raison du taux d’incidence élevé.

À titre personnel, avez-vous rencontré des difficultés pour exercer ?

Dr A.C.H. : Bien sûr. D’une part avec la pénurie d’essence et d’autre part avec les barrages à franchir. Lorsqu'on est médecin, c'est problématique de ne pas être sûre de pouvoir se rendre sur son lieu de travail. Personnellement, lorsque je franchissais un barrage je montrais ma carte de professionnel de santé et ils me laissaient passer. Mais j'ai eu des remontées de certains collègues qui sont restés bloqués plusieurs heures. Un chirurgien, alors qu’il était attendu au bloc opératoire, a été contraint d'annuler son opération. Certains grévistes ont d'ailleurs exercé des formes de pression sur les habitants, conditionnant leur passage à une certaine somme d'argent. Il y a eu de véritables rackets… Ce qui s'est passé est inadmissible. 

Avez-vous craint pour votre sécurité et celles de vos collègues ?

Dr A.C.H. : Forcément ! Le climat était très pesant... De nombreuses exactions ont eu lieu en Martinique. Deux cabinets de centres médicaux ont été totalement saccagés et un troisième a été brûlé au Robert. Plusieurs pharmacies ont été vandalisées, une a été incendiée… Au plus fort de la crise, nous avons demandé à l'ARS et à la préfecture, au nom de l'URML et avec le conseil de l'Ordre, de pouvoir fermer les cabinets à 17 heures. Il était essentiel que les soignants puissent rentrer chez eux à 18 heures avant le couvre-feu (19 heures) et avant la tombée de la nuit. Il fallait permettre aux soignants d'exercer leur métier sans toutefois les mettre en danger. Nous avons également réclamé que l'ensemble des soignants qui exercent en maisons médicales et qui finissent parfois à 23 heures puissent obtenir une dérogation pour ne pas s'y rendre. Quand vous habitez loin et que vous devez franchir plusieurs barrages, cela pose des questions de sécurité. Beaucoup de médecins ont, à juste titre, eu peur. Les médecins qui ont souhaité continuer à exercer ont pu eux bénéficier d'un accompagnement. En tant que médecin régulateur, j'ai pu être raccompagnée chez moi par le SAMU. 

Qu'attendez -vous aujourd'hui ?

Dr A.C.H. : Nous attendons que les négociations entre les politiques et l'intersyndicale se passent dans un climat serein. Il faut éviter à tout prix que cela se reproduise car la cinquième vague de Covid arrive. La population martiniquaise est relativement âgée, il y a une prévalence du diabète de 10 % et des indices d'obésité comparable à celui des Etats-Unis. C'est donc une population très fragile. Paradoxalement la vaccination est de seulement 40 %... 

Comment expliquez-vous ce faible taux de vaccination ?

Dr A.C.H. : Cela relève de la sociologie mais je pense que beaucoup d'amalgames et de contre-vérités circulent. Toutefois, je me rends compte qu'à force d'explications et de pédagogies, nous parvenons à lever les freins. En Martinique, nous avons eu la chance de bénéficier de doses Pfizer dès le mois de juin en cabinet grâce à des dérogations préfectorales et avec l'accord de l'ARS. À titre personnel, je vaccine dans mon cabinet et dans un centre de vaccination à Madiana. Grâce à mon expérience, je me rends compte qu'il est plus facile de proposer la vaccination au cours d'une consultation. C'est plus pratique, plus fluide et il y a ce lien de confiance qui est déjà instauré. La couverture vaccinale en Martinique augmente progressivement et c'est tant mieux.


Source : lequotidiendumedecin.fr