Assurément, Emmanuel Macron a fait du grand débat une forme de thérapie nationale destinée à apaiser au moins partiellement la colère de l'opinion publique. Il a réussi à gagner un peu de temps et à réduire le niveau de la hargne. S'il a pu en même temps isoler les gilets jaunes, il sait que leur mouvement est trop irrationnel pour s'éteindre rapidement. De toute façon, le temps des belles paroles est terminé. Il est moralement et politiquement obligé de satisfaire une partie des revendications qui ont été exprimées, sinon toutes.
Certaines doléances ne seront pas exaucées, par exemple le rétablissement de l'Impôt sur la fortune (ISF), qui était une promesse de campagne. D'autres en revanche peuvent être suivies d'effet, par exemple une baisse d'un point de la TVA sur les produits de première nécessité qui ne devrait pas trop amoindrir les recettes de l'Etat. Gérald Darmanin, ministre des Comptes et de l'Action publique, envisage déjà l'abolition de la taxe d'habitation pour tous en 2020. D'autres efforts seront faits pour améliorer le pouvoir d'achat des Français qui est en hausse depuis le début de l'année, grâce à la distribution des primes de 100 euros défiscalisées pour ceux qui touchent le Smic et les primes accordées aux employés par un certain nombre d'entreprises, primes qui, elles non plus, ne sont pas taxées.
Les demandes vont bien au-delà de ces quelques mesures. Le gouvernement peut soit créer une nouvelle tranche du barème de l'impôt pour augmenter ses ressources, soit abolir la première tranche pour soulager ceux qui gagnent le moins. D'une manière générale, il ne réduira pas les prélèvements obligatoires sans mettre en danger l'équilibre budgétaire. Le déficit, qui a été de 2,5 % du PIB (produit intérieur brut) en 2018, pourrait s'élever à plus de 3 % en 2019 et le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire va devoir ramer pour contenir le dérapage qui nous vaudra, à n'en pas douter, les foudres de la Commission de Bruxelles.
Une question de philosophie
Le problème, cependant, ne se situe pas au niveau des chiffres, mais à celui de la philosophie qui sous-tend l'action du gouvernement. Il a réussi à maîtriser le déficit de l'année dernière et à stabiliser la dette à 98,4 % de la richesse annuelle. Les deux risquent d'augmenter dans des proportions alarmantes dès cette année. Or Macron a fait campagne aussi sur le redressement des comptes par la maîtrise des dépenses. Il ne peut apaiser la colère de nos concitoyens qu'en renonçant à cet objectif et en retombant dans les solutions adoptées en définitive par ses prédécesseurs. Nicolas Sarkozy avait promis de faire le ménage, la crise de 2008 a dissipé ses espoirs. François Hollande, celui-là même qui donne de doctes leçons à M. Macron, a compté sur une baisse du taux de chômage qui ne s'est pas produite pendant son mandat. Le président actuel court le danger de se « normaliser », de chuter dans la médiocrité des programmes passés, ce qui serait contraire à sa vocation, à ses convictions et à la politique de changement à laquelle il s'est astreint et qu'il avait annoncée triomphalement.
D'autant que, avec la meilleure volonté, Macron n'est en mesure d'accorder ni des hausses massives de revenus, ni leur détaxation complète. Il ne satisfera qu'une partie (variable) des revendications, ce qui nous conduirait, collectivement, à souffrir d'une déstabilisation budgétaire, à un coup d'arrêt aux réformes et, en somme, à un renoncement. Ceux qui, aujourd'hui, réclament le plus, lui reprocheront de n'avoir pas su juguler les dépenses, et d'avoir aggravé le déficit et la dette. Inutile de préciser que la crise sociale pourrait engendrer une crise politique plus grave encore que celle que nous vivons. Le prix à payer, c'est la contre-réforme, le retour aux mauvaises solutions de naguère et à l'immobilisme.
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