LE QUOTIDIEN : Catherine Vautrin a hérité d’un très large portefeuille social et santé. Le terme « prévention » n’y figure pas. Y voyez-vous un mauvais signal ?
CLAUDE RAMBAUD : Dans le passé, nous avons déjà eu des super ministères des affaires sociales avec à la fois la santé, l’Assurance-maladie et les retraites. Ce n’est pas nouveau. Nous faisons confiance à Catherine Vautrin et son équipe ministérielle pour s’emparer des dossiers relatifs à la santé des usagers. Nous veillerons à ce qu’elle n’oublie pas de prendre des décisions pour les patients mais aussi avec eux !
Aujourd’hui, le système de santé et les usagers souffrent de l’instabilité au ministère de la Santé. Les locataires de Ségur passent comme des courants d’air, ouvrent des dossiers, les entament et repartent. On les change tous les quatre matins. Rien n’avance ! Concernant le retrait du terme “prévention” ce n’est évidemment pas la bonne voie. Ségur ne peut pas être uniquement le ministère de la maladie. Aujourd’hui, la prévention doit exister plus que jamais.
Le gouvernement est accusé d’inaction pour combattre les risques inhérents à la consommation d’alcool. Qu’attendez-vous de la nouvelle ministre ?
C. . : Qu’elle s’attaque vraiment à la problématique de l’alcool chez les jeunes. Par exemple, il faut être plus sévère sur la question de la publicité dans les lieux publics à proximité des établissements scolaires. Notre objectif est de revenir sur la loi Evin d’origine – qui imposait des mesures très strictes en matière de prévention chez les jeunes – et même la renforcer. L’alcool est souvent vendu à un prix dérisoire dans les supermarchés, à coups de grosses promotions. France Assos Santé milite pour instaurer un prix minimum de l’unité d’alcool. Cette mesure s’est montrée efficace en Écosse ou en Irlande.
Emmanuel Macron écarte toute régulation à l’installation. Regrettez-vous ce positionnement ?
C. . : Oui, ce positionnement nous semble trop strict. On s’aperçoit que les incitations ne fonctionnent pas vraiment. Il faut donc allier des mesures incitatives et de régulation. Le conventionnement sélectif ? Pourquoi pas ! En résumé, la régulation doit être modulable et adaptée en fonction des territoires et des CPTS qui ont pour rôle de trouver un médecin traitant pour tous. Certaines de ces organisations ne font rien, d’autres y arrivent très bien. Dans certaines zones mieux dotées, des initiatives se mettent spontanément en place avec des médecins qui se sentent responsables de l’accès aux soins. Ils vont d’eux-mêmes donner un coup de main dans les déserts médicaux, font des consultations délocalisées ou en bus itinérants. Ce sont des initiatives à encourager !
Faut-il contraindre les internes en 4e année à réaliser leurs stages en zone sous-dense ?
C. . : J’ose espérer que nous n’aurons pas besoin de cette obligation. Mais je rappelle que les études de médecine sont gratuites en France. Il me semble que lorsqu’on s’engage dans cette formation, c’est notamment pour rendre un service public sur l’ensemble du territoire. J’ai profondément confiance en cette nouvelle génération et je pense que la majorité serait d’accord. C’est une expérience enrichissante pour eux. S’il faut malgré tout passer pas la contrainte, nous n’hésiterons pas.
Concernant les gardes des libéraux, faut-il remettre en cause le principe du volontariat ? Ne risque-t-on pas de décourager les vocations ?
C. . : Nous sommes favorables à un retour de la participation obligatoire à la permanence des soins (PDS-A). Nous n’aurions jamais dû arrêter. Il est aussi indispensable que les établissements privés y soient inclus. Les internes en quatrième année pourraient également y participer, sous réserve qu’ils soient bien formés. Si vous demandez à un praticien de faire une garde par semaine, peut être que cela va être repoussoir mais s’il en fait deux ou trois par an, c’est tout à fait différent. Bien sûr, il faut que la rémunération soit juste. C’est un véritable sujet.
Emmanuel Macron appelle à renforcer les délégations de tâches vers des non-médecins. Doit-on craindre une dégradation de la qualité des soins ?
C. . : Il se pratique aujourd’hui de manière officieuse des délégations de tâches entre professionnels. Attention à ces pratiques hors des clous. Elles se font parfois intuitu personæ, sans cadre formel et sans la certitude que les professionnels sont formés pour les tâches et les actes qu’ils réalisent. Ceci est dangereux. En revanche, le transfert de tâches dans le cadre d’une pratique avancée, avec une IPA ou un kiné par exemple, est un modèle à encourager. Ces soignants disposent de compétences validées par un diplôme. Nous pouvons leur faire confiance.
Comment accueillez-vous l’implantation de cabines de téléconsultation, y compris dans les gares ?
C. . : À partir du moment où un professionnel est là pour accompagner le patient pendant sa consultation, nous ne voyons aucun inconvénient à ce qu’une téléconsultation ait lieu dans une gare, en pharmacie ou en supermarché. Dans certains territoires où la démographie médicale est très faible, ce type de dispositif est une vraie alternative pour dépanner des patients démunis. Je l’ai moi-même expérimenté et j’ai été surprise par la qualité de la prise en charge. Les pharmacies disposent d’une très bonne couverture sur le territoire – certaines sont accessibles presque H24 –, ce sont donc des lieux adaptés pour des consultations à distance. C’est en tout cas aussi bien que de récupérer une ordonnance auprès du secrétariat de son médecin sans l’avoir vu.
Le chef de l’État souhaite réduire la rémunération à l’acte des médecins libéraux et introduire plus de paiements au patient. Est-ce une bonne mesure ?
C. . : Oui. France Assos Santé a toujours prêché pour la capitation. Selon nous, le paiement à l’acte suscite beaucoup trop de non-pertinence en matière de soins et cette non-pertinence nous coûte très cher. Lorsque vous êtes médecin libéral, plus vous faites d’actes, plus vous êtes payés, donc vous êtes incités à cette course à l’acte. Plus d’actes, c’est aussi plus de prescriptions. Le fait d’introduire une part plus importante de rémunération au forfait, avec par exemple un ratio de 60/40, améliorerait considérablement la qualité des soins.
Il faut bien rémunérer nos médecins. Mais il faut aussi mieux évaluer pour savoir si le soin est bon
Le C à 30 euros, vous dites banco ?
C. . : Si c’est pour un renouvellement d’ordonnance sans même prendre la tension, c’est trop cher. Si c’est pour une véritable consultation au cours de laquelle le praticien fait le point avec la personne, prend le temps d’un examen si besoin, c’est le prix. Au-delà du tarif de l’acte de référence, je pense qu’il faut bien rémunérer nos médecins. Mais il faut aussi mieux évaluer pour savoir si le soin est bon. S’il n’est pas bon et s’il y a de la dépense inutile, il faut arrêter car il s’agit là d’argent public.
Faut-il agir dans la nouvelle convention sur les dépassements d’honoraires ?
C. . : Nous avons toujours mené un grand combat contre ces pratiques. Quand j’étais présidente du Ciss (Collectif interassociatif sur la santé), ma tête a même été mise à prix sur internet car j’en ai beaucoup parlé. Aujourd’hui, la suppression de ces pratiques tarifaires est impossible mais nous sommes favorables à l’encadrement de ce droit au dépassement.
Emmanuel Macron a acté le doublement des franchises. Y voyez-vous une mesure de responsabilisation ?
C. . : C’est un très mauvais discours qui pénalisera les patients aux ressources faibles. Payer cinq ou dix euros de franchise pour certaines personnes qui sont à 1 200 euros mensuels, ce n’est pas négligeable. C’est deux repas. Si l’État veut dégager des moyens financiers, il faut aller les chercher dans la pertinence des soins et donc identifier la surconsommation d’actes ou de produits. Certains experts soulignent qu’il existe environ 30 % d’actes inutiles.
La “taxe lapins” revient sur le tapis. Faut-il pénaliser les patients indélicats ?
C. . : Écoutez, faut-il taxer aussi les médecins qui ne veulent pas s’installer dans les déserts médicaux ? Non, c’est quand même de bien mauvais biais. Avec les plateformes de prise de rendez-vous en ligne, il y a souvent un message de rappel. Avant de taxer, peut-être faudrait-il prévoir l’obligation de confirmer le rendez-vous lors du rappel.
Après l’échec du DMP, pensez-vous que Mon espace santé est sur la voie du succès ?
C. . : Nous misons beaucoup sur Mon espace santé pour optimiser l’échange d’informations. Malheureusement, certains documents essentiels, comme les ordonnances, ne sont toujours pas versés automatiquement par les médecins. Les patients n’ont pas toujours le réflexe de demander à leurs médecins de l’alimenter. Pour autant, Mon espace santé n’est pas un échec. Des campagnes de communication ont été faites. Les hôpitaux ou l’Assurance-maladie ont fait des efforts en organisant des permanences pour aider les patients à ouvrir leur espace. Nous attendons des décisions pour améliorer l’usage de cet outil. C’est toute une culture à installer !
Repères
Depuis 2006
Présidente puis vice-présidente de l’association de lutte, information et études infections nosocomiales et sécurité patients (LIEN)
2010
Membre de la commission nationale offre de soins (CNOSS) ministère de la Santé
2016
Co-Auteure de « Trop soigner rend malade ». Prix Prescrire 2017
Depuis 2019
Vice-présidente de France Assos Santé
2022
Membre du Conseil national de la certification périodique des professionnels de santé
2024
Membre du Conseil d’administration de l’ANSES
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