Les CHU, ces seniors âgés de 60 ans, seraient menacés comme tous les Français de maladies chroniques. Les médecins de la Cour des comptes dans un rapport récent diagnostiquent un modèle en voie d'essoufflement. Quant aux experts de l'Igas et de l'IGAENR, ils évoquent sans tact pour le malade la survie s'il ne consent à une indispensable évolution. Outre la santé, les finances de certains établissements sont dans le rouge. Le déficit de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris devrait encore atteindre en 2018 près de 200 millions d’euros. La pression est donc forte avant la présentation du rapport CHU de demain, commandé par le gouvernement lors des 16 Assises nationales hospitalo-universitaires qui se dérouleront du 12 au 14 décembre prochain à Poitiers. Certes, tous les observateurs célèbrent l'élan novateur impulsé par les ordonnances du 30 décembre 1958 qui ont révolutionné l'hôpital public. Elles sont le fruit d'une vie de réflexion, de voyages, de pratiques médicales de Robert Debré accélérées d'un coup de baguette magique par la nomination de son fils Michel au poste de Premier ministre, comme le raconte Patrice Debré dans son beau livre (opus cité, voir aussi DSS N° 210). En effet, les ordonnances de 1958 ne procèdent pas de la commande d'un rapport d'experts suivi dans la foulée d'une nouvelle loi. C'est au cœur de la nuit noire de la Seconde Guerre mondiale que sont posées les premières pierres d'un nouvel hôpital public. Les propositions sont rédigées par le Comité médical de la résistance. Elles seront transmises à Alger au Comité français de libération nationale. Mais en juillet 1945, la réforme de l'hôpital n'est pas la priorité du ministre de l'époque François Billoux. Il faudra attendre 1956 avant que le projet d'une réforme soit de nouveau inscrit à l'agenda politique sous l'impulsion d'un certain Jean Dausset alors conseiller du ministre de l'Éducation nationale. Un Comité interministériel des problèmes de l'enseignement médical, de la structure hospitalière et de l'action sanitaire sociale est installé le 18 septembre 1956. Mais les discussions s'enlisent. La volonté politique au plus haut niveau aura toutefois raison des corporatismes.
Soixante ans plus tard, les trois ordonnances et le décret publiés le 11 et 30 décembre 1958 ont transformé en profondeur l'architecture du système hospitalier français. Pour autant, le constat d'une rénovation est partagé par tous les acteurs. Simplement les opinions divergent sur l'importance des travaux à réaliser aux niveaux des structures. Quant aux trois valences, soins-enseignement- recherche, elles relèvent de la mission impossible.
PUPH, des super héros
Comment en effet concilier ces trois obligations alors que se sont greffées récemment la nécessité de pratiquer un management de qualité sans parler de l'importance désormais de la prévention érigée comme une priorité nationale ? Les PUPH sont-ils condamnés à devenir des super héros ? En attendant, les sages de la Cour des comptes ne sont pas convaincus. Et évoquent le caractère illusoire d'un exercice à haut niveau de ces trois missions, « la réalité pratique étant souvent celle d'une bi-spécialisation, voire d'une mono-spécialisation ; certains hospitalo-universitaires publient peu, voire pas du tout, et sont de fait des cliniciens enseignants, quand d'autres ne font que de la recherche et quasiment plus de soins ni d'enseignements ». Certes, il n'apparaît pas pertinent de photographier l'activité à un moment donné mais plutôt de l'apprécier sur la durée d'une carrière. Résultat comme le constate le rapport commun Igas/IGAERN, « aucun ministre, depuis 1960 n'a pris la responsabilité de définir de manière précise le temps consacré à chaque activité et l'arrêté prévu à l'article 4 du 24 février 1984 n'a jamais été publié. »
Mais une autre illusion est dénoncée par l'Isni (Intersyndicale nationale des internes). La sélection s'opère en pratique sur l'aptitude à mener des projets de recherche et guère sur l'appétence à la pédagogie par exemple. De plus au quotidien, c'est bien l'activité de soins qui domine sur la recherche ou l'enseignement du fait de l'incitation de la T2A à produire davantage d'actes.
Pas de fuite dans le privé
Ce brouillage en continu participe à la perte d'attractivité des carrières, sentiment diffus, malaise réel mais qui ne serait pas retrouvé dans les faits. Les chiffres n'objectivent pas une fuite vers le privé. Entre 2013 et 2017, le nombre de démissions oscille par an entre 6 et 18, « ce qui est très peu par rapport aux effectifs concernés », notent les rédacteurs du rapport Igas/IGAENR.
Comment pour autant, sortir par le haut de ces illusions ? Alors que les experts dénoncent l'absence de mobilité des PUPH nommés à vie dans un même établissement. Ce qui génère le risque de conflits interpersonnels.
Le rapport de l'Igas/IGAENR recommande de contractualiser la répartition du temps de travail des PUPH à travers un engagement pluriannuel tripartite université, hôpital et hospitalier universitaire. L'enjeu serait de garantir à l'échelle collective du service ou du pôle l'exercice effectif des différentes missions. Ce contrat ne serait pas figé. Et évoluerait dans le temps.
Autre innovation, afin de sécuriser les parcours en début de carrière. Un nouveau statut de professeur assistant hospitalo-universitaire (PaHU) serait créé. Il aurait vocation à terme à remplacer les MCU-PH et les PHU. Le recrutement serait validé sur une période de quatre ans, renouvelable dans la limite de huit ans. À l’issue du contrat, le PaPH serait versé dans le corps des PU-PH ou celui des PH voire un départ vers le privé.
Les noces de diamant entre l’université et le CHU
Mais au-delà des hommes, ces noces de diamant entre l'hôpital et l'université sont-elles un mariage réussi ? En tout état de cause, soixante ans plus tard, l'union n'a pas été fusionnelle, notent l'ensemble des rapports. « Les structures hospitalières et universitaires cohabitent ; elles se répartissent les compétences plutôt que de les exercer ensemble, ce qui est en complète opposition avec ce qui est le fondement du CHU et soulève la question de son avenir à moyen terme », peut-on lire à la page 94 du rapport Igas/IGAENR. Au départ, le dispositif repose sur la coopération et non la concurrence entre université et hôpital. Mais avec le temps, le CHU a perdu le monopole sur de deux de ses missions « régaliennes », la recherche et la formation. Comment alors défendre la spécificité du CHU s'il est challengé en permanence par d'autres acteurs performants ? Le Pr François-René Pruvot interpelle sur ce point les pouvoirs publics (voir entretien p.). Sur le critère de la qualité de la recherche, les avis notent de fortes disparités selon les établissements. Outre le score SIGAPS, un outil contesté, l'évaluation se révèle difficile notamment pour la comparaison d'établissement de taille différente. Sans surprise toutefois les CHU implantés dans les grandes métropoles (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Strasbourg) disposent d'une recherche de qualité. Les centres de lutte contre le cancer avec un nombre limité d'hospitalo-universitaires témoignent toutefois d’une forte productivité. L'Institut Gustave Roussy et l'Institut Curie se placent dans le top 15 des établissements les plus performants. D'où la question récurrente depuis plusieurs années de leur intégration dans un futur plus ou moins proche au sein des CHU (voir p.).
Thérapeutique de cheval
Mais alors que la recherche depuis soixante ans s'est mondialisée avec une concurrence de plus en plus féroce, cette mission peut-elle être exercée même dans les CHU de taille modeste ? La Cour des comptes propose une thérapeutique de cheval : reconnaître les cinq à dix CHU dont "l'activité de recherche a atteint ou peut prétendre atteindre une visibilité internationale". Ces CHU ne disposeraient pas d'une exclusivité à mener l'activité de recherche. Mais seraient constitués en tête de réseau. Dans cette perspective, les crédits Merri seraient concentrés et versés dans les établissements les plus performants. Agnès Buzyn dans l'entretien accordé à DSS (Cf. pp. 14 à 17) conteste fermement cette recommandation.
Bref si de nombreux médecins se penchent sur l’état de santé du CHU, faut-il pour autant le réparer, voire l’augmenter ? Les CHU ont souvent été comparés à des cathédrales de savoir, consacrées non pas à voir la gloire de Dieu mais à celle de la médecine. À l’heure où le médecin partage son magistère du savoir avec d’autres sachants, il s’agit bien de transformer le modèle. Après le temps des cathédrales, est venu celui de la renaissance. Faut-il s’en plaindre ?
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