Dr Thierry Lardenois, président de la Carmf : « En 2020, le Covid a entraîné un surcroît de 200 décès de médecins »

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Publié le 08/01/2021
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Report de cotisations, indemnisations journalières dès le 1er jour, aide de 2 000 euros… En 2020, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) a mis en place plusieurs mesures exceptionnelles et mobilisé un milliard d’euros pour soutenir la profession, bousculée par le coronavirus. Dans un entretien au Généraliste, son président revient sur l’impact de la crise sanitaire, particulièrement meurtrière pour les médecins libéraux – si 63 praticiens sont déclarés morts des suites du Covid-19, on sait aussi que 200 décès de praticiens ont été enregistrés en plus en 2020 par rapport aux années précédentes. L’épidémie a par ailleurs entraîné la mise à l’arrêt temporaire ou prolongée d’un grand nombre de confrères. Le patron de la Carmf assume de n’avoir pas pioché dans les réserves pour financer les aides nécessaires, afin de ne pas spolier les retraités. Et redoute que la crise se prolonge durablement. « Nous ne pourrons pas ressortir tous les ans des montants d’aides comme celles versées cette année », prévient le généraliste mosellan.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Plusieurs dizaines de médecins libéraux sont décédés du Covid-19, dont environ la moitié de généralistes en activité. Rarement la profession a été aussi meurtrièrement frappée. Que vous inspire cette hécatombe ?

Dr Thierry Lardenois : Une profonde tristesse. Je suis issu d’une famille de médecins, ayant deux frères praticiens. Cette crise a été une épreuve sur le plan moral. J’ai réalisé très tôt que cette épidémie aurait un caractère dramatique, notamment pour les plus fragiles d’entre nous. J’avais d’ailleurs appelé le ministre de la Santé, Olivier Véran, à ne pas mobiliser de façon intempestive la réserve opérationnelle des médecins les plus âgés. Nous avions déjà des indices que les anciens étaient beaucoup plus exposés que le reste de la population. Malheureusement, mes intuitions se sont révélées exactes. Sur 63 médecins libéraux morts du coronavirus (décès pour lesquels la cause du Covid-19 a été renseignée par la famille), 22 étaient des praticiens retraités qui avaient potentiellement repris du service, 30 étaient cotisants en activité pleine et entière et 11 cumulaient emploi et retraite. Les 30 médecins cotisants ont bénéficié de l’indemnité décès de 60 000 euros. Désormais, nous pourrons étudier l’attribution d’une aide financière au conjoint survivant d’un médecin retraité ayant cessé toute activité libérale et décédé dans les douze mois suivant la date d’effet de sa pension, lorsqu’il subsiste des charges liées à l’arrêt de son activité libérale. Les conjoints survivants de médecins en cumul ne sont pas concernés par ces dispositions.

La Carmf a-t-elle enregistré davantage de décès de médecins en 2020 ?

Dr T. L. : Nous sommes en train d’affiner les statistiques annuelles. Chaque année, nous enregistrons habituellement environ 1 400 décès. Or, nous observons une hausse d’environ 200 décès en 2020. Il est vraisemblable que la majorité de ces disparitions supplémentaires (pour lesquelles le motif du décès n’a pas été renseigné, ndlr) soit imputable au coronavirus.

Plusieurs milliers de médecins libéraux ont également été infectés par le SARS-CoV-2 ou placés en confinement. Qu’a représenté l’aide versée par la Carmf ?

Dr T. L. : En théorie, la Carmf n’a pas vocation à indemniser les 90 premiers jours de maladie. Mais nous avons rapidement constaté que la situation pouvait être catastrophique pour des confrères exposés et qui avaient peu de moyens de protection à l’époque. J’ai demandé une dérogation au ministère de la Santé, qui l’a accordée sans discuter, afin que la Carmf puisse prendre en charge dès le premier jour les médecins touchés par le coronavirus sur déclaration (dispositif toujours en vigueur). À ce jour, nous avons pris en charge environ 5 300 médecins. Nous avons versé plus de 145 000 journées d’indemnisation (cette aide est comprise entre 67,54 euros et 135,08 euros par jour selon la classe de cotisation), ce qui représente environ 15 millions d’euros d’indemnités versées aux confrères qui ont été directement touchés (contaminés, mis en quarantaine ou vulnérables, hors décès) par le coronavirus. Cette aide compassionnelle, prélevée sur les comptes de l’indemnité décès, a été versée sans que les médecins aient eu à cotiser le moindre centime.

Pendant le 1er confinement, du fait de la baisse d’activité des médecins libéraux, la Carmf avait repoussé l’appel à cotisation à novembre. Comment sera régularisée leur situation ?

Dr T. L. : Dans un premier temps, nous avons suspendu deux mois de cotisation, puis un troisième en voyant la vélocité de l’épidémie. Nous avons proposé de répartir ces cotisations, soit sur les années 2020, 2021 et 2022, de façon à ce que le poids de report des cotisations n’alourdisse pas injustement l’année 2021, soit, pour ceux qui étaient parvenus à sortir la tête de l’eau dans la deuxième partie de l’épidémie, en reprenant leurs cotisations dans la fin de l’année 2020 pour pouvoir l’inscrire à leur bilan financier final. C’était une mesure importante pour ne pas ajouter de pression à nos confrères en difficulté, notamment ceux de certaines spécialités entièrement à l’arrêt.

La Carmf est venue en aide à tous les médecins libéraux affiliés en leur octroyant 2 000 euros à déduire des sommes dues. Pourquoi cette aide ?

Dr T. L. : Un certain nombre de confrères se trouvant dans une situation difficile, nous avons décidé de mettre en place une aide compassionnelle nette d’impôts et de charges, en mobilisant en trésorerie et sans toucher aux réserves. Nous avons ainsi pu effectuer un don de 2 000 euros défiscalisable pour assister les confrères pendant cette année 2020 difficile – cela représente environ un mois de cotisation. En termes de mobilisation financière, pour l’ensemble des dispositions mises en place, nous avons rassemblé un milliard d’euros pour venir en aide aux médecins.

CUMUL EMPLOI RETRAITE, « PAS UNE BONNE SOLUTION »

Alors que les 15 000 retraités actifs vont bénéficier de droits complémentaires, le patron de la Carmf ne se réjouit pas. Bien au contraire. « Le cumul emploi retraite n’est de notre point de vue pas une bonne solution. Nous lui préférons la retraite en temps choisi, avance le Dr Lardenois. Il faut savoir faire des choix. Soit on continue son activité pour bonifier sa retraite, ce que permet la Carmf, soit on reste avec une activité annexe. Mais si on veut une activité normale, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. » Le généraliste de Moselle juge ainsi anormal qu’un jeune médecin qui commencerait à travailler et pourrait avoir du mal à se constituer une patientèle soit contraint de payer des charges quand un médecin en cumul n’en paierait pas. « Ne créons pas une injustice », clame-t-il.

La Carmf a été brocardée par certains car elle n’a pas voulu toucher à ses réserves pour venir en aide aux médecins libéraux affectés par le Covid-19. Pourquoi ce choix ?

Dr T.L. : Je n’ai reçu aucun reproche depuis que l’on a mis en musique ces mesures d’aide à la profession. Comme on ne savait pas où l’on allait, il n’était pas possible de créer une spoliation des retraités en piochant dans le capital qu’ils ont eux-mêmes constitué. Pendant la réforme des retraites, le gouvernement souhaitait déjà utiliser les réserves de la profession médicale. Nous lui avions fait valoir qu'elles étaient un bien inaliénable, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé dans une délibération. Que ce soit pour l’État ou pour des jeunes confrères, nous ne pouvons pas piocher dans les réserves constituées par nos anciens pour leur retraite car cet argent ne nous appartient pas. Nous avons trouvé l’argent ailleurs et l’avons utilisé avec prudence et sérieux, sans mettre qui que ce soit en péril. Toutes les prestations de tous les types, puisées majoritairement dans le fonds invalidité décès, ont servi à régler les allocataires, les cotisants, les invalides, les veuves… Il n’a manqué un centime à personne. Je suis fier de ce que cette caisse a fait pour la profession. Dans la tempête, le bateau a bien tenu.

La Carmf publie chaque année les revenus des médecins libéraux. Selon les éléments dont vous disposez, l’épidémie de Covid a-t-elle fortement impacté les revenus des praticiens l’an dernier ?

Dr T. L. : Il est un peu tôt pour le dire mais nous pensons que la baisse d’activité moyenne d’activité des médecins libéraux pourrait avoisiner les 10 %. Nous disposerons de tous les éléments précis en mars. En dehors de certaines niches professionnelles médicales (comme les médecins thermaux par exemple, ndlr), très touchées car leur activité spécifique était bloquée, l’activité médicale a repris et fonctionne de façon relativement satisfaisante. Cependant, si des confrères se trouvent en grande difficulté, ils ne doivent pas hésiter à faire appel à nous, on les aidera dans le cadre de notre fonds d’action sociale. À ce jour, nous recevons très peu de demandes de médecins en situation dramatique ou au bord du dépôt de bilan à cause du Covid-19 

Quelle leçons tirez-vous de la gestion de la crise par la Carmf ?

Dr T. L. : Nous avons bien anticipé les difficultés et fait la démonstration qu’une caisse autonome comme la nôtre et qui dispose d’une gestion prudente et astucieuse a une meilleure gestion que l’État. L’État a dû gérer des pertes de revenus et il l’a fait en générant du déficit. La note de 2020 sera un jour présentée aux Français. La Carmf ne présentera jamais de note aux médecins ! C’est une grande fierté. Je n’ose imaginer ce qu’il se serait passé si la Carmf avait intégré une caisse unique.

Qu’avez-vous prévu pour 2021 ?

Dr T. L. : La crise ne va pas disparaître d’un coup. Notre profession va encore être particulièrement exposée en 2021. Nous ne pourrons pas ressortir tous les ans des montants d’aides comme celles versées cette année. Nous avons identifié deux pistes pour venir en aide aux confrères à l’avenir. La première serait d’obtenir une baisse de 10 % de la cotisation au régime de base. Le conseil d’administration de la Cnavpl, à l’exception d’une caisse, a voté pour. Nous attendons que le gouvernement entérine cette baisse. Une seconde piste permettrait de venir en aide aux retraités. Pendant de nombreuses années, la valeur du point de l’ASV a été bloquée alors que les cotisations ont augmenté de 230 % en dix ans. Selon nos projections, il serait possible d’augmenter la valeur du point de 1 % (fixée à 13 euros en 2020, ndlr). Il revient aux syndicats de le demander. Il serait bienvenu d’obtenir cette hausse, fut-elle symbolique.

La crise sanitaire de l’année écoulée a-t-elle entraîné davantage de demandes de départs en retraite de médecins libéraux en 2020 ?

Dr T. L. : Nous enregistrons habituellement chaque année 5 400 départs en retraite, dont 35 % en janvier, le premier trimestre recueillant traditionnellement le plus de départs. Pour l’instant, contrairement à ce que nous pouvions attendre, nous avons reçu peu de demandes. 

Le 24 mars dernier, vous vous êtes prononcé en faveur d’un essai clinique de l’hydroxychloroquine sur les médecins libéraux malades du coronavirus volontaires. Était-ce une initiative personnelle ou de la Carmf ? Pourquoi être sorti de votre champ de compétence ?

Dr T. L. : C’est une question intéressante. Peut-on dissocier le président de l’homme et du médecin ? À mon sens, non. J’ai fait cette proposition à un moment où personne ne connaissait rien de cette maladie, où il n’y avait pas d’interdit, où le sujet n’était pas tabou et alors qu’aucune publication scientifique n’était parue. En revanche, il y avait des bruissements. Je ne suis qu’un humble généraliste mais je connais certaines molécules. J’ai un passé modeste de virologue, ayant été interne en virologie à Nancy. En tant que médecin, j’ai toujours considéré que ne rien faire était la pire des choses. Comme on avait une idée thérapeutique et des confrères en état de voir ce que cela faisait sur eux-mêmes, j’ai fait cette proposition, que d’aucuns ont pu considérer comme en marge de ma fonction. J’ai certes écrit sur un papier à entête de la Carmf mais je l’ai fait en mon nom, c’était une démarche personnelle. Je n’ai pas récidivé car mes confrères n’étaient pas obligés de partager mes convictions.

La réforme des retraites a été reportée. Est-ce une bonne chose pour les médecins ?

Dr T. L. : Nous avons fait la démonstration pendant cette crise que notre caisse, bien conduite, n’avait nul besoin d’être amalgamée avec d’autres. La logique de l’État de vouloir regrouper toutes les caisses de retraite pour mieux les gérer est mauvaise. Je reste convaincu que la caisse unique est une mauvaise chose, en tout cas si elle repose sur un plafond de 3 PASS (plafonds de la Sécurité sociale). Je ne suis pas hostile à une réforme qui serait mesurée et raisonnable. La solidarité, oui. La destruction, non !

BIENTÔT LA FIN DU DÉLAI DE CARENCE POUR LES IJ : ENTRE « SATISFACTION » ET « TRISTESSE »

À compter du 1er juillet 2021, le délai de carence pour les médecins libéraux sera supprimé, leur permettant de toucher des IJ dès les premiers jours de maladie. La Carmf salue cette décision. « C’est un combat que nous menions depuis 5 ans, affirme le Dr Lardenois. C’est à la fois une satisfaction car nous demandions cette prise en charge, mais aussi une grande tristesse. Toutes les caisses ont été mélangées ensemble, des viticulteurs aux chirurgiens. » Résultat : des caisses cherchent à faire monter les enchères et réclament jusqu’à cinq plafonds de cotisation avec des prestations à hauteur de trois plafonds. Reste à savoir quels seront les termes de l’entrée en vigueur de cette disposition. Une chose est sûre, affirme le Dr Lardenois, « la Carmf n’interviendra pas pour verser un complément pendant les 91 premiers jours. L’État, de toute façon, ne nous laisserait pas faire car cela ferait de la Carmf une caisse de sécurité sociale ou une assurance privée. La Caisse continuera à intervenir à partir du 91e jour. » Le président de la Carmf espère que le dispositif permettra de verser des IJ décentes. « Selon nos estimations, les médecins pourraient se voir verser des IJ à 167 euros, ce qui serait relativement correct. »


Source : lequotidiendumedecin.fr