Le jeu des chaises musicales va reprendre. Après sa démission – en réaction à l’adoption du projet de loi immigration, contraire à ses principes – Aurélien Rousseau laisse le poste de ministre de la Santé vacant. Agnès Firmin Le Bodo, actuelle ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, assure l’intérim, avec en toile de fond la possibilité d'un remaniement après la trêve des confiseurs.
« La fidèle » Havraise était d’ailleurs la favorite du Quotidien pour succéder à Aurélien Rousseau… avant que la justice s'en mêle. La pharmacienne a confirmé ce vendredi 22 décembre être visée par une enquête en cours. Elle aurait reçu, selon Mediapart, 20 000 euros de cadeaux de la part des laboratoires Urgo. En poste depuis juillet 2022, elle connaît pourtant les dossiers, les acteurs et assure la continuité des services à Ségur. Proche d’Édouard Philippe, elle est encartée au parti Horizons et avait promis de continuer à « aller de l’avant », en poursuivant « le travail engagé » avec son ex-colocataire de Ségur. Agnès Firmin Le Bodo s’est récemment illustrée avec son plan de lutte contre les violences envers les soignants. Elle gère aussi depuis son arrivée à Ségur l’épineux dossier de la fin de vie, auquel Emmanuel Macron est très attentif et qui fera l’objet d’un texte de loi en février 2024, a encore confirmé le chef de l'État lors de sa prise de parole du 20 décembre.
Influence de la droite
Face à une droite de plus en plus influente, faisant même office d’arbitre à l’Assemblée, Emmanuel Macron pourrait être tenté de débaucher dans les rangs des Républicains (LR) pour créer une nouvelle majorité. Si d’aventure cela était le cas, « le Professeur » Philippe Juvin – au CV long comme un délai de prise de rendez-vous chez un spécialiste dans le Lot-et-Garonne – aurait ses chances d’obtenir les rênes du ministère de la Santé. L’ancien député européen est médecin-anesthésiste et chef de service des urgences de l’Hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris. Seul point noir au tableau : ses prises de position trop tranchées en faveur d’une réduction du panier de soins de l’aide médicale d’État (AME), ce que la majorité présidentielle a refusé, préférant prudemment se ranger derrière le rapport Evin-Stefanini tout en promettant un débat parlementaire en début d’année prochaine.
D’autres députés issus de la droite mais aujourd’hui dans la majorité présidentielle sont de possibles candidats au poste. C’est le cas de « l’éternel » recours et expert des questions de santé Frédéric Valletoux (Horizons), dont la proposition de loi sur l'accès aux soins a été adoptée cette année. S’il a failli être nommé à Ségur l'été dernier, en tandem avec Marguerite Cazeneuve, avant que le patron du MoDem François Bayrou ne rouspète, il fait – comme à chaque remaniement – office de « plan b ». Toutefois, l’ancien patron de la Fédération hospitalière de France (FHF) est victime de ses relations conflictuelles avec les médecins libéraux engagés dans la signature d’une nouvelle convention, ce qui pourrait refroidir l’exécutif. Ce proche d'Édouard Philippe a, depuis, mis de l’eau dans son vin : suffisant pour être (enfin !) nommé ministre ?
Besoin d'experts
D’autres profils se distinguent, telle « la machine » Nicolas Revel, actuellement à la tête de l’AP-HP et ancien patron de l’Assurance-maladie. Reconnu comme expert du secteur par ses pairs, il s’est construit une très bonne réputation et a déjà mené, avec succès, des négociations conventionnelles. Un atout de taille pour celles en cours avec les médecins libéraux, préparées par François Braun et lancées par Aurélien Rousseau. Déjà sollicité pour le poste, il a toujours dit non au Président, qu'il connaît bien.
Hyperactive en coulisses et rempart de la Macronie dans l’Hémicycle, « l’ambitieuse » Stéphanie Rist pourrait être remerciée pour ses bons et loyaux services par un poste ministériel. Figure de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée et rapporteure du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), la rhumatologue pourrait mettre à profit sa fine connaissance des enjeux santé pour le gouvernement. Même si, à l’instar de Frédéric Valletoux, ses relations avec les libéraux ne sont pas fusionnelles. Elle cache, en tout cas, plusieurs idées dans sa besace pour réformer en profondeur et décloisonner le système de santé, son véritable objectif.
AME et grand âge à porter
Le successeur de Frédéric Valletoux à la tête de la FHF, « l’outsider » Arnaud Robinet (Horizons), paraît également en bonne position. Le maire de Reims multiplie les apparitions médiatiques et se positionne sur tous les sujets, comme sur l’AME, qu’il a vivement défendue sur les plateaux TV ces dernières semaines.
Côté LR, « le discret » et sérieux cardiologue, Yannick Neuder, aussi vice-président de la commission des Affaires sociales à l’Assemblée, a fait voter une proposition de loi pour former plus de médecins. Il pourrait faire office de surprise, même s’il n’est pas un aficionado d'Emmanuel Macron, à qui il préfère son champion cavalier Laurent Wauquiez.
Quid de « la bûcheuse » Aurore Bergé, dont le rêve d’être ministre a été exaucé par Élisabeth Borne avant les fêtes de fin d’année ? Prenant du galon à Ségur, étant en charge notamment du projet de loi grand âge et du chantier des Ehpad, elle s’affirme de plus en plus comme sérieuse aux yeux du secteur. Assez pour franchir le cap ?
Casse-tête
S’il existe toujours la tentation pour faire entrer du sang neuf au gouvernement, le Président pourrait recycler d’actuels ministres, à l’instar de « l’opportuniste » Olivier Véran. Toujours au gouvernement, où il sévit en tant que porte-parole et chargé du « Renouveau démocratique », son expérience en responsabilité lors de l'épidémie de Covid-19 pourrait être utile, tandis que les taux d’incidences montent dans l’Hexagone et que les vaccinations des plus vulnérables stagnent.
Une chose est sûre : le casse-tête de l’exécutif promet d’être douloureux. Le timing de la démission d’Aurélien Rousseau, juste avant les fêtes, est mauvais, tout comme la révélation de Mediapart au sujet d'Agnès Firmin Le Bodo. Si Emmanuel Macron aime prendre son temps, la question du périmètre d'un éventuel remaniement, resserré à la santé ou élargi à l'ensemble du gouvernement, se pose. Élisabeth Borne n’est même pas sûre de passer l’hiver à Matignon.
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