Emmanuel Macron ne croit pas que le « grand débat » soit de nature à guérir ni même à atténuer la crise. Il ne croit pas qu'une partie de l'opposition se ralliera à son panache blanc lors des élections européennes. Il ne croit même pas représenter, aux yeux de ces corps constitués qu'il a maltraités, une défense contre le désordre. Son passif est donc lourd.
Jugement auquel il faut apporter plusieurs nuances : la cote de popularité du président de la République remonte, ce qui n'a pas de précédent dans l'histoire de la Ve République ; le grand débat a impressionné les maires auxquels le chef de l'État s'est adressé, ce qui a permis un rapprochement avec des élus particulièrement remontés contre lui ; le Rassemblement national, malgré ses rodomontades, n'est pas certain du tout d'arriver en tête aux élections européennes et, si M. Macron n'avait pas eu la malheureuse idée d'envisager un référendum au moment de cette consultation ou après, il aurait une très bonne chance de confirmer que la République en marche est le premier parti politique du pays, d'autant que les listes éventuelles de gilets jaunes ne pourraient qu'affaiblir le score du RN.
Pour un exécutif qui, il y a moins d'un mois, semblait aux abois, les perspectives ne sont donc pas tout à fait désastreuses. Le président fait ce en quoi il est expert : parler, beaucoup et intensément. Son énergie a chassé toute notion de solitude accablée dans un palais privé de son dynamisme et peuplé de hauts fonctionnaires apeurés. Il résiste aux rebondissements de l'affaire Benalla, se bat sur le front diplomatique, ignore le feu de tous ces canons que les oppositions concentrent sur sa personne avec le fol espoir de le contraindre à partir. Qui peut, malgré la gravité de la crise, croire encore à ce scénario ? Qui croit, en dehors des illuminés du samedi, que l'effondrement de la République serait une bonne chose pour le pays ? Qui, malgré la foule des aspirations et prétentions qui se manifeste, saurait gérer le chaos consécutif à sa démission ?
Un match Macron-Le Pen
De la loi anti-casseurs, qui mobilise la gauche et les avocats, au débat incessant sur le degré de la répression engagée contre des manifestations toujours violentes, de l'affaire Benalla à la crise avec l'Italie, le chef de l'État ne trouve grâce sur aucun de ces sujets. Il serait le président le plus médiocre de la lignée, alors que (mais on n'est pas à une contradiction près) la crise actuelle est analysée en général comme la conséquence de quarante ans de mauvaise gestion des affaires sociales. En réalité, ce qui fait la force de Macron, c'est la faiblesse de ses oppositions : il s'agit, aux européennes, d'un duel singulier entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. La nature de l'enjeu est en conséquence d'une clarté aveuglante : notre pays peut-il prendre le risque de basculer dans l'extrême droite ? Est-ce souhaitable moralement, économiquement, socialement et politiquement ?
D'autant que nombre de gilets appartiennent eux-mêmes à l'extrême droite. Ils représentent donc la force capable de déstabiliser un pouvoir issu des urnes et jusqu'à présent invulnérable aux manœuvres du RN. La rue, c'est l'émeute, la violence, la casse. Le couplet sur ces malheureux gilets jaunes dont des voyous confisquent les manifestations relève d'une bien mauvaise analyse : aucun gilet jaune n'est innocent de ce qui se passe dans les rues des grandes villes, car tous bénéficient du retentissement que la violence apporte à leur action. Ils n'en sont à leur treizième samedi que parce que, au total, leurs manifestations ont fait 10 morts et des milliers de blessés dont presque la moitié est constituée de forces de l'ordre. Le dire sans ambages n'est pas ignorer l'insuffisance du niveau de vie d'une classe populaire. C'est rappeler qu'à compter ainsi sur le désordre national, ils ne permettent pas au gouvernement de leur venir en aide.
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