« En perte de vitesse », la France se révèle être un « élève très moyen » en matière de disponibilité et d’accessibilité des médicaments, « loin de pouvoir revendiquer une position de leader en santé », a résumé Christophe Durand, président de la commission Accès du Leem, en commentant la première analyse de l’Observatoire de l’accès aux médicaments et de l’attractivité, mis en place mis en place après la loi de financement de la Sécurité sociale de 2023.
Confiée par le syndicat des entreprises du médicament au cabinet Roland Berger, cette étude sur le médicament en France visait à « évaluer de manière objective et impartiale les conséquences des décisions politiques » , a indiqué Thierry Hulot, président du Leem, lors d’un point presse ce 27 juin. Elle s’appuie sur des données publiques, des études internes du Leem et sur une enquête réalisée auprès de ses membres.
Des délais de mise sur le marché toujours plus longs
Il en ressort que 34 % des médicaments ayant reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) au niveau européen entre 2018 et 2021 n'étaient pas disponibles pour les patients français fin 2022. Si ce taux est similaire à ceux observés en Angleterre (24 %) et en Espagne (39 %), il apparaît bien supérieur à ceux de l’Allemagne (13 %) et de l’Italie (19 %). Parmi ces médicaments non disponibles en France, un tiers était toujours en cours d’évaluation ou de négociation.
« Aucun des cinq derniers antipsychotiques n’est accessible aux patients français » ni « aucun des trois nouveaux traitements de fond de la migraine » (anticorps monoclonaux antagonistes des récepteurs du peptide lié au gène de la calcitonine, appelés anti-CGRP), pointe l’Observatoire.
Les délais pour la mise sur le marché sont ainsi « très éloignés de la cible de 180 jours fixée par la directive européenne Transparence », est-il souligné. « Dans 85 % des dossiers, les délais d’évaluation par la Haute Autorité de santé (HAS) sont supérieurs », souligne Christophe Durand.
La HAS a pourtant réduit sa durée médiane d’évaluation des dossiers de 22 jours entre 2019 et 2022. Mais, en parallèle, le temps médian de négociation avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) et de parution au « Journal officiel » (JO) a lui augmenté de 96 jours sur la période. « En 2021, le délai de publication au JO était de 110 jours, dépassant à lui seul les 90 jours » fixés pour la négociation des prix, est-il souligné.
« Ce qu’on pressent, c’est un risque de dégradation dans les prochaines années », avertit Julien Gautier du cabinet Roland Berger. De récentes déclarations de la HAS font en effet craindre un allongement des délais, en raison d’un périmètre étendu de ses missions au regard d’une stabilité de ses effectifs.
La situation s'est légèrement améliorée dans le cadre du dispositif d’accès précoce aux médicaments innovants ; ces derniers peuvent être mis à disposition avant l’évaluation de la HAS et la négociation du CEPS, s’ils répondent à un besoin non couvert dans une pathologie rare, grave ou invalidante. Le délai moyen est alors de 213 jours, est-il indiqué. Au total, 51 000 patients ont bénéficié du dispositif entre son entrée en vigueur en juillet 2021 et mars 2023.
Mais une fois passé ce régime dérogatoire, 20 % des médicaments ayant bénéficié d’un accès précoce reçoivent une ASMR (amélioration du service médical rendu) 5, en raison principalement de données incomplètes ou d’absence de données comparatives au moment de l’évaluation.
Une attractivité à renforcer
À ces freins, s’ajoutent des difficultés d’approvisionnement : 65 % des répondants ont signalé des ruptures de stock ces deux dernières années. Ces ruptures, d’une durée moyenne de 68 jours, sont liées dans un tiers des cas à des phénomènes de compétition sur les marchés.
Côté attractivité, le tableau « n’est pas catastrophique », mais la France est en « perte de vitesse » dans un contexte où l’attractivité européenne tend à reculer face à la force de frappe de l’industrie nord-américaine. Sur les médicaments autorisés entre 2017 et 2022, seuls 48 sont produits sur le territoire français, contre 122 en Allemagne. Et, « la France exporte de moins en moins les médicaments matures qu’elle produit et importe de plus en plus de produits innovants qu’elle ne produit pas suffisamment », lit-on.
Les investissements en R&D devraient par ailleurs rester stables dans les prochaines années, alors qu’ils mériteraient d’être amplifiés, regrette Christophe Durand, prédisant là aussi une « dégradation ». D’autant que la France accuse un « retard marqué » sur les princeps biologiques, les génériques et les biosimilaires, par rapport à ses voisins européens. Parmi les freins à l’investissement, les répondants citent à 55 % la complexité de la régulation.
Face à ces constats, la stratégie de lutte contre les pénuries annoncée par le président de la République doit faire face à une « tâche énorme », a estimé Thierry Hulot, martelant que « le prix des médicaments ne peut pas être la variable d’ajustement du système de santé ». Les annonces viennent conforter les orientations du plan « Innovation santé 2030 », « c’est entendu par l’écosystème », rapporte Christophe Durand, mais « l’absence de cohérence (entre les différentes politiques, NDLR), c’est rédhibitoire », prévient-il.
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