Les gilets jaunes ne forment pas un groupe homogène. Ils tirent leur force collective des nuisances considérables qu'ils apportent au fonctionnement de la société. Ils protestent toujours de leur innocence sans admettre que, sans la casse et la violence commises par des groupes qui tirent avantage de leurs manifestations pour semer le désordre, ils seraient bien incapables d'influencer le pouvoir. Ils prétendent rejeter toute récupération politique, mais leurs revendications pourraient être signées par la France insoumise ou par le Rassemblement national. Les gilets traduisent à eux seuls la convergence des deux extrêmes.
Les élections européennes du 26 mai prochain pourraient leur donner l'occasion de faire leur entrée en politique. Mais ils ont agoni d'injures Ingrid Levavasseur, l'une de leurs figures, qui tentait de former une liste pour cette consultation. Selon les sondages d'opinion, une telle liste recueillerait environ 3 % des suffrages et n'aurait qu'un faible impact sur les scores du RN et de Debout la France. Par conséquent, ce n'est pas lors des rendez-vous électoraux que les gilets se fondront dans le paysage politique.
Ce qui pose la question de la durée du mouvement. S'ils ne rejoignent pas le débat national, s'ils restent hostiles à toute identification idéologique (encore qu'elle ne soit pas si mystérieuse), mais qu'en même temps, ils ne rentrent pas chez eux, le gouvernement a le devoir de trouver une réponse politique à un phénomène qui a déjà coûté cher à la société française (30 millions de dégâts urbains et quelque 6 milliards de manque à gagner pour le produit national).
Une fin en soi
Le président de la République et les élus d'En marche affichent leur activisme : ils ne laisseront pas le débat s'enliser sans apporter quelques réponses aux innombrables revendications qui ont été exprimées. Certes, cette réponse peut être morale, politique, et même institutionnelle, mais on était en droit de supposer que la crise sociale avait été traitée par une solution budgétaire sous la forme de crédits de plus de dix milliards. Les gilets jaunes ayant méprisé ce geste du pouvoir, ils rejetteront sans doute d'autres offres. Ce qui explique le sens profond du mouvement : il représente une fin en soi et le désordre, pour ne pas dire l'anarchie, est sa raison d'être. Il n'ignore rien de sa fragilité et donc refuse de prendre le moindre engagement avec le pouvoir. Pour s'engager, il aurait besoin de créer en son sein une hiérarchie et un partage des responsabilités. Il ne veut rien de tout cela. Il trouve son bonheur dans les ronds-points et sur les Champs-Elysées.
Emmanuel Macron pense qu'il va sortir de cette crise moins affecté qu'il ne l'était en y entrant. Les enquêtes d'opinion lui donnent raison, qui montrent un rebond inattendu de sa cote de popularité et un score élevé de la REM aux élections européennes. Mais les gilets jaunes ont créé un abcès qui nuit à l'unité du pays, l'appauvrit, et détruit des emplois. Pour donner le change, le gouvernement poursuit sa politique de réformes avec un sang-froid qui l'honore. Toutefois, les nouvelles lois ne sauraient être votées dans un climat de mécontentement syndical qui s'ajouterait à une crise à la fois spécifique, d'une sociologie très particulière, et qui est née d'une révulsion à l'égard de tout ce qui est officiel, contingenté, mesuré et hiérarchisé. Pour le pouvoir, la voie est étroite : elle se situe entre la répression et le doigté, entre la patience et la fermeté, entre la dénonciation des abus et la compréhension de ce qui les engendre.
Quoi qu'il en soit, la bataille au finish est plus probable que les solutions miraculeuses imaginées par le gouvernement, qui ne les a d'ailleurs pas révélées, plaçant plus d'espoir dans la fatigue des manifestants que dans la pertinence de ses décisions.
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