La santé est-elle réformable ?
Marisol Touraine : Elle l'est, je l'ai moi-même réformée. Les mesures de santé publique adoptées sous mon ministère ont beaucoup provoqué de réactions mais donnent aujourd’hui des résultats. Je pense au paquet neutre ou au nutriscore. J’ai aussi montré qu'on pouvait transformer et adapter la santé publique en France pour lui permettre de mieux réagir aux crises (Ebola, essai clinique, attentats...). Une inflexion nouvelle a été donnée au système de soins, qui a été réorienté de manière structurelle. La loi que j’ai portée et les mesures que j’ai prises ont mis la prévention au premier rang des préoccupations. Il y a eu une restructuration hospitalière, le choix de privilégier la proximité, la médecine générale et de façon plus globale la santé primaire, avec notamment les CPTS aujourd'hui renforcées.
Quelles sont les difficultés principales ?
M.T. Comme tout secteur extrêmement organisé, structuré, avec des acteurs dont les intérêts peuvent être contradictoires, il est parfois difficile de faire évoluer les choses. La santé est un paquebot. Ses transformations supposent une vision stratégique et des orientations suivies dans la durée. Chacun voit midi à sa porte et a tendance à considérer les changements à l’aune de ses intérêts particuliers. Mais ce n’est pas propre à la santé, c’est à la fois humain et très banal.
La santé est-elle le secteur le plus difficile à réformer ?
M.T. Elle l’est tout autant que l’Éducation nationale. Ce sont deux mastodontes. Cela dit, la santé est le seul secteur, en dehors des ministères régaliens, où l’on doit gérer à la fois une politique publique et des enjeux de crise. Au quotidien, je pense que ce ministère est le plus difficile à manager. Les gens n’en ont pas conscience. Précisément parce qu’il y a le pilotage stratégique du système de santé, la mise en place de programmes concrets (santé publique, tabac) et puis le risque permanent de crise qui occupe beaucoup et qui suppose des qualités assez différentes de celles qu’exige une gestion politique publique classique.
Le débat avec les médecins autour de votre loi de modernisation du système de santé a été houleux, comment l’expliquez-vous ?
M.T. Transformer le système de santé en se préoccupant de l’accessibilité aux soins et de tarifs raisonnables provoque toujours des réactions. Toutes les mesures n’ont toutefois pas été débattues, et les parlementaires de droite ont voté l’essentiel de cette loi sans difficulté, estimant que les médecins étaient d’accord. À la fin, les crispations se sont focalisées sur le tiers payant. Les autres éléments de la loi fonctionnent, se développent et sont aujourd’hui poursuivis.
Avez-vous des regrets ? Feriez-vous certaines choses autrement aujourd’hui ?
M.T. Même si la nostalgie ne sert à rien, on a forcément le regret des crispations. On se dit que des choses auraient pu et dû être faites autrement. J'ai aussi regretté que les médecins ne me soutiennent pas davantage dans certains combats que j’ai menés. Sur le tabac par exemple, où seuls les spécialistes et les associations se sont impliqués. Réformer la santé, ce n’est pas simplement gérer des professionnels. Le système de santé ne leur appartient pas. Il est aussi fait pour les millions d'usagers.
Avez-vous été suffisamment pédagogue au moment de la réforme ?
M.T. Je pense que la pédagogie était là. D’ailleurs, plus de 70 % des Français soutenaient le tiers payant. Je veux bien admettre que des choses auraient pu être faites autrement mais je ne suis pas sûre que les médecins étaient prêts à beaucoup de compromis sur le sujet.
Pour l’heure, le développement du tiers payant généralisé est suspendu…
M.T. Il est parfois difficile de convaincre les médecins de mesures qui pourtant ne modifient profondément ni leur exercice, ni leur liberté. Le tiers payant existe en Allemagne ainsi que dans un grand nombre de pays, et il progresse en France. Il mettra plus de temps que je l’aurais souhaité, mais le chemin emprunté est irréversible.
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