Vendredi 17 mai, peu après 18 heures. Essoré mais soulagé, Thomas Fatôme clôt dans les locaux de la Cnam l’ultime round de six mois de négociations qui resteront dans les annales de la convention. Six mois au cours desquels le directeur général a patiemment tissé le canevas d’un projet conventionnel à 1,6 milliard d’euros (pour le seul régime obligatoire), texte qu’il aura marqué de son empreinte et de sa « nouvelle méthode », fondée sur la « co-construction », la « transparence » et une forme de souplesse revendiquée jusque dans les ultimes arbitrages pour arracher un accord majoritaire.
CCAM, APC : la carte du compromis
Alors que le texte finalisé venait d’être soumis à signature des syndicats, la Cnam a poussé le bouchon de la communication jusqu’à organiser mercredi 22 mai en fin de soirée un « live » explicatif inédit pour défendre et illustrer sa copie : G à 30 euros et APC à 60 euros dès décembre 2024, consultations longues, forfait médecin traitant « sans perdants », aides à l’installation plus lisibles… Dans la dernière ligne droite, plusieurs signaux directs ont été adressés aux médecins spécialistes avec certains cumuls d’actes autorisés, une amélioration des options de pratique tarifaire maîtrisée (Optam), un financement des équipes de soins spécialisées (ESS) et surtout une rallonge supplémentaire pour la future CCAM technique – la refonte 2026 de cette nomenclature étant provisionnée à hauteur de 240 millions d’euros.
Énorme pomme de discorde entre les deux syndicats monocatégoriels MG France et Avenir Spé, qui risquait de faire capoter toutes les négos, la facturation élargie de l’avis ponctuel de consultant (APC, 60 euros) s’est traduite par une forme de compromis et… un groupe de travail censé proposer des évolutions « à l’horizon mi-2025 ».
Séquence politique
Si le suspense demeurait sur la capacité de la Cnam à obtenir un accord, cette politique d’apaisement menée auprès des médecins spécialistes a trouvé un pendant à quelques encablures de là, avenue de Ségur. Car ces deux dernières semaines, la séquence conventionnelle s’est doublée d’une séquence politique non moins délicate, le sort des médecins spécialistes étant lié à celui des cliniques privées, en conflit ouvert avec le ministre délégué à la Santé Frédéric Valletoux.
En cause, l’annonce fin mars des tarifs hospitaliers 2024 revalorisés de 0,3 % pour le secteur privé et augmentés dans le même temps de 4,3 % pour le secteur public hospitalier (soit quatorze fois plus). Le 3 avril, le comité exécutif de la puissante Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) annonçait en représailles une « grève totale » à compter du 3 juin (sauf les activités vitales comme la dialyse). Le 25 avril, cinq syndicats de médecins libéraux sur six (Avenir Spé-Le Bloc, CSMF, UFML-S, SML, FMF) annonçaient leur soutien aux établissements privés employeurs, incitant leurs adhérents spécialistes à déprogrammer leurs opérations.
La semaine dernière, les allées du congrès SantExpo ont été le théâtre de tractations et coups de pression
Le deal de Valletoux
Pour parer la menace d’une suractivité à l’hôpital public qui risquait de saturer urgences et services – 75 000 patients risquaient d’être déprogrammés par les cliniques, selon la FHP – le gouvernement a dû monter au front et desserrer les cordons de la bourse en urgence.
La semaine dernière, les allées du congrès SantExpo ont été le théâtre de tractations et coups de pression. La ministre de tutelle Catherine Vautrin, s’invitant à une table ronde avec les cliniques et les libéraux, a rappelé avec gravité l’enjeu de l’accès aux soins pour les Français ; mercredi 22 mai, le président de la FHP Lamine Gharbi déplorait le manque de considération des pouvoirs publics et le risque de « paupérisation de la médecine » ; l’Ordre des médecins lui-même s’en est mêlé – fait rarissime – en souhaitant la révision des tarifs « pour prévenir la paralysie des soins » due à la grève des cliniques privées ; dans la foulée, Frédéric Valletoux annonçait l’ouverture de négociations sur la pluriannualité des financements, mesure réclamée de longue date par les cliniques, gage de visibilité.
Il aura fallu en réalité sept semaines d’échanges et l’envoi de dizaines de messages, SMS et WhatsApp pour que le dénouement se produise. Vendredi 24 mai à 8 heures 30, la boîte mail de Lamine Gharbi (FHP) réceptionne une missive de Frédéric Valletoux lui proposant de suspendre la grève contre une série d’« engagements » financiers consacrant une « équité de traitement entre les différents secteurs de l’hospitalisation ». Parmi eux, la suppression intégrale dès juillet du coefficient de minoration tarifaire visant à neutraliser l'avantage fiscal d’un crédit d’impôt (le CICE) mais aussi l’application des majorations de sujétions de nuit, dimanche et jours fériés (mesures Borne qui bénéficient déjà au secteur public) et l’« alignement complet » dès 2025 du montant des indemnités de garde des médecins libéraux sur leurs homologues du public dans la PDS-ES. Quatre heures plus tard, la hache de guerre était enterrée et la grève suspendue.
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