« Les médecins sont en première ligne non seulement face aux pénuries de médicaments, mais également face aux patients concernés », a souligné Sonia de la Provôté, présidente de la commission d’enquête sénatoriale, en introduction de cette nouvelle audition. Le contexte est particulièrement anxiogène car, comme l’a rappelé le Pr Jean-Paul Tillement, membre de l’Académie de médecine, toutes les classes pharmacologiques sont concernées : manque de principes actifs (paracétamol, xylocaïne, amoxicilline, 5-fluorouracile, glucocorticoïdes), de formes pharmaceutiques (principalement des préparations injectables utilisées à l’hôpital dans les services d’urgence) et de médicaments ciblés, pédiatriques et gériatriques notamment. Après avoir rappelé que ces ruptures d’approvisionnement sont régulières depuis 2010, le Pr Jean-Paul Tillement n’a toutefois pas cherché à en minimiser l’impact évoquant pour les patients « l’aggravation de la maladie et la perte de chance de guérison » et pour les praticiens « une diminution préoccupante de leurs possibilités de traitement et le gaspillage du temps médical qui en résulte ». Le Dr Claire Siret, présidente de la section santé publique de l'Ordre national des médecins, a abondé dans son sens pointant « un exercice médical très compliqué notamment face aux trois épidémies de bronchiolite, de grippe et de Covid, et une majoration des difficultés d’accès aux soins. Pour adhérer à un traitement, le patient doit être en confiance or il ne l’est plus », a-t-elle déclaré. Si le Conseil de l’Ordre a créé sur son site internet, en partenariat avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) une rubrique intitulée « vigilance et veille sanitaire », le Dr Claire Siret a aussi mis en lumière la problématique de l’information : « Les médecins sont souvent avertis des pénuries par leurs patients. Les données relatives aux tensions d’approvisionnement et aux ruptures de stock devraient être disponibles en temps réel sur les logiciels d’aide à la prescription sous forme d’alertes, ou via une application téléchargeable. Les pouvoirs publics devraient parallèlement sensibiliser la population sur la bonne utilisation des médicaments pour éviter l’automédication », a-t-elle ajouté. Seul le Dr Patrick Léglise, délégué général de l’Intersyndicat des praticiens hospitaliers (INPH), s’est montré moins pessimiste, évoquant « les stocks-tampons dans les hôpitaux ainsi que les possibilités de substitution sur un marché qui compte plus de 6 000 spécialités alors qu’un médecin prescrit entre 200 et 300 médicaments dans toute sa carrière ». Il a toutefois reconnu des « entorses au bon usage des antibiotiques en cas de substitution imposée et des effets secondaires, comme des allergies, liés au passage d’un générique à un autre ».
L’Europe
Présentée tantôt comme un frein, tantôt comme une source d’espoir, l’approche européenne a été l’un des fils rouges de cette audition. « S’agissant des stocks de sécurité, l’administration a été très active pour établir la liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), mais cette décision française se heurte à la législation européenne sur la libre circulation des biens à l’intérieur de l’Union. La justice européenne a toujours interdit les restrictions quantitatives à l’exportation », a exprimé le Pr Jean-Paul Tillement avant d’appeler de ses vœux « une politique européenne claire de santé et de ressources thérapeutiques ». Une position soutenue par Patrick Léglise qui a « plaidé pour un prix européen régulé qui pourrait être fixé sur des critères objectifs » mais qui a suscité le scepticisme du Dr Yves Juillet, membre de l'Académie de médecine. « Chaque pays ayant son propre système de protection sociale, je ne crois pas qu’un prix européen soit envisageable », a-t-il regretté. Le lancement d’appels d’offres sur une base nationale et non plus européenne a également été mis en débat.
Le déconditionnement en question
Parmi les autres pistes évoquées, le conditionnement des médicaments pour des dispensations à l’unité, proposé par le Dr Claire Siret, n’a pas non plus fait l’unanimité. Le Dr Yves Juillet l’a qualifié de « fausse bonne idée. Ce dispositif est ingérable et dangereux en pratique ». « A l’hôpital seule la moitié des médicaments sur le marché sont en conditionnement unitaire », a regretté le Dr Patrick Léglise. Une position « médiane » a alors été proposée qui consisterait à adapter le conditionnement en fonction des recommandations des sociétés savantes, ce qui permettrait de commercialiser des boites de 14 ou de 28 comprimés par exemple, en fonction de la durée de traitement préconisée.
Demain
Quant à l’avenir, il reste des plus incertains. Plusieurs orateurs ont souligné la contrainte de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) qui (a) contraint l’industrie pharmaceutique à des économies et à des baisses les prix. « Une autre forme de pénurie se profile compte tenu des moyens financiers que nous consacrons aux médicaments d’innovation, je pense par exemple aux anticorps monoclonaux », a prédit le Pr Jean-Paul Tillement. Quant aux potentielles relocalisations de sites de production en France et en Europe, elles posent pour le Dr Yves Juillet la question de « réintroduire une industrie chimique polluante ».
Retenons également de cette audition que les représentants du syndicat MG France, n’ayant pas pu répondre à la sollicitation de la commission d’enquête, seront « reconvoqués ultérieurement ».
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