Je conseille à tout un chacun, en particulier aux candidats à l’exercice en désert médical, de lire cet excellent livre de Mikhaïl Boulgakov, l’un des meilleurs écrivains russe du XXème siècle, et qui relate son expérience à l’âge de 26 ans en 1917, alors qu’il avait été envoyé dans un désert médical au sortir de la faculté, dans le district de Smolensk. Ce livre a été traduit du russe au français, mais si en plus on changeait seulement le nom des maladies naturelles de l’époque par le nom des maladies liées à notre mode de vie actuelle, il n’y aurait rien d’autre à modifier, rien d’autre à rajouter pour faire croire que ce livre aurait été écrit aujourd’hui; tout y serait dit en seulement 110 pages pour décrire la situation actuelle de la médecine à la française.
Toujours la même hypocrisie des politiques
On comprend pourquoi cet auteur était en pratique interdit du temps de son vivant, point qui a changé aujourd’hui, car personne en haut lieu ne daignerait le lire ou l’écouter, encore moins l’entendre, c’est chez nous, la méthode moderne de la communication. Une chose est sûre, il ne parle pas à la manière de M. Winckler. Mais de l’incapacité et de l’hypocrisie des politiques, jusque aux craintes, croyances, attentes et tricheries des patients. En passant par les angoisses du médecin face à l’inconnu « vous vous adapterez, lui a t-on dit », son désir d’être à la hauteur, ses joies et ses échecs, sa solitude permanente et extrême, son besoin par nécessité constante d’étudier « une année était passée, une autre passera, aussi riche en surprise que la première… par conséquent, il me faut étudier bien sagement ».
Je suis sûr que la grande majorité d’entre-nous se retrouve encore aujourd’hui dans ce qu’il écrit. Il relate des situations qui pourrait encore arriver aujourd’hui ; sa visite en traîneau au milieu de la tempête de neige me rappelle qu’un de mes confrères a renversé, il y a pas si longtemps que cela, son 4x4 en faisant un demi-tour nocturne et hivernal dans le fossé d’un chemin. Une de ses grandes craintes, dès le premier jour, était l’accouchement, car son seul enseignement pratique fut de voir de loin dans un amphithéâtre, l’accouchement normal d’une femme normale.
La réalité de la pratique se moque des statistiques
Les politiques ne voient que par les statistiques, la réalité se moque des probabilités. Comme on pouvait s’y attendre, son premier accouchement fut pour une femme qui poussait des hurlements, mais à qui il fallait quand même soutirer les autorisations nécessaires, et qui avait une présentation transversale pour laquelle il fallait faire une version interne/externe sous masque de chloroforme, accouchement des plus difficiles qu’il soit. Maintenant, on fait, à l’hôpital, systématiquement une césarienne. Pendant qu’il faisait préparer la femme sur la table d’accouchement, faisant croire à un besoin de calme, il se précipite dans sa chambre pour consulter son « Doderlein », qu’il feuilletait fébrilement, chaque phrase ne faisant que renforcer ses angoisses, mais le temps passait, il fallait y aller, et réussir sans jamais avoir pratiqué ni même vu une seule fois ce qu’il y a de plus difficile.
Il a dû mentir nombre de fois en disant qu’il avait l’habitude de pratiquer… Alors, il s’est retrouvé avec 100 patients par jour... Il raconte aussi ses cauchemars, les mêmes que les médecins d’aujourd’hui doivent avoir. Il passait devant ses juges qui allaient lui interdire d’exercer et le condamner au motif qu’il avait lamentablement failli, lui qui pratiquait, comme il leur fait dire « une sous-médecine » dans le froid, la nuit et dans la solitude, alors que eux, bien au chaud dans leurs hôpitaux modernes, savaient, et hurlaient avec les loups.
Rien n’a changé ? Si, une judiciarisation galopante...
Il serait condamné non pas parce qu’il n’a pas appris, c’était un des meilleurs de sa promotion, mais pour ce qu’on ne lui a pas appris. On peut supposer que les juges de l’époque, conseillés par plusieurs experts, ne mettaient pas plusieurs mois, voire plusieurs années, à convenir de ce qu’aurait dû faire le médecin, comme aujourd’hui, alors que lui n’avait que cinq minutes pour réfléchir à une situation ardue et inconnue.
Le jour de son anniversaire, autour d’un verre d’alcool, comme encore de nos jours, chacun racontait les perles de ses patients, qui permettent un peu de soulagement de temps à autre, par le rire. Savez-vous pourquoi on trouvait parfois du sucre en morceau dans le vagin des femmes ? Parce qu’à l’époque, on savait que les sucreries attirent les enfants, alors, lorsque l’enfant tardait à vouloir apparaître, on faisait appel à la guérisseuse du coin, avant de se précipiter au dernier moment chez son médecin pour qu’il fasse un miracle.
Je suis sûr que l’on doit encore pouvoir voir ça de nos jours dans notre pays…. Alors, il dit, pour terminer son livre, « le soir avant de me coucher, jamais plus je ne marmonnerai fièrement que rien, désormais, ne pourra m’étonner ». C’est « un chant né du silence » , comme il a été dit de ses écrits. Non, vraiment, rien n’a changé ; si, une seule chose, son cauchemar qui se réalise dans une judiciarisation galopante.
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