Dans un climat parfois tendu, les sénateurs ont adopté le 28 mai (à 180 voix contre 136) une proposition de loi visant à encadrer strictement les transitions de genre avant 18 ans. Ardemment condamné par la gauche qui dénonce une approche « transphobe », le texte a été soutenu par des élus du parti Les Républicains (LR) et des centristes. Après un certain flottement sur la position de la majorité, le ministre délégué chargé de la Santé, Frédéric Valletoux, a finalement rejeté le texte en séance, dénonçant « une approche totalement dogmatique, subjective, où les arguments médicaux et scientifiques ont peu d’importance ».
Selon le Dr Jean Chambry, pédopsychiatre, chef de pôle du Centre intersectoriel d’accueil pour adolescent (Ciapa) du 18e arrondissement de Paris qui assure des consultations spécialisées, le texte « ne tient pas compte des pratiques actuelles et des besoins des populations concernées » et traduit une « méconnaissance du sujet » tant sur le fond que sur les chiffres, alors que, parmi les jeunes patients souffrant de dysphorie de genre suivis, « certains n’ont absolument pas besoin de traitement médical et encore moins chirurgical ».
Un nombre marginal d’adolescents concernés
En 2020, la Caisse nationale d'Assurance-maladie (Cnam) recensait 294 personnes de moins de 18 ans bénéficiaires de l’affection de longue durée (ALD) permettant la prise en charge des soins de transition (8 en 2013). Dans un avis récent s’inquiétant des conséquences de la loi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, estime que seuls 11 % des jeunes accompagnés dans une transition de genre ont eu accès à des bloqueurs de puberté, après un délai moyen de 10 mois entre la première consultation et la mise en place du traitement.
Le texte de loi porté par la sénatrice (LR) Jacqueline Eustache-Brinio, prévoyait initialement une interdiction pure et simple des traitements accompagnant les parcours de transition des mineurs transgenres (prise d’hormones, bloqueurs de puberté et chirurgies de réassignation). Ce premier projet, qui s’appuyait sur les conclusions controversées d’un rapport sénatorial rédigé en interne au sein du groupe LR, a ensuite été « rééquilibré » en commission des Affaires sociales, explique le rapporteur de la proposition de loi, le sénateur LR Alain Milon.
Le texte finalement adopté au Sénat prévoit l’interdiction pour les mineurs des traitements hormonaux et des chirurgies, ainsi qu’un contrôle strict des prescriptions de bloqueurs de puberté. Ces dernières seraient à réserver aux « centres de référence pluridisciplinaires » et seulement après un suivi médical d’une durée d’au moins deux ans. Alors que ces traitements bloquent le développement des caractères sexuels secondaires, ce délai « équivaut à une interdiction », déplore le Dr Chambry.
La proposition de loi envisage également l’instauration d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour les médecins qui contreviendraient à ces règles. Cette disposition créerait « un précédent préoccupant », a réagi le ministre Frédéric Valletoux. Le texte intègre enfin la mise en place d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie. Alors que les prises en charge des mineurs associent déjà de nombreuses spécialités, dont des psychiatres et des psychologues, cette proposition « renvoie un message pathologisant », regrette le Dr Chambry.
Désaccord sur la notion d’identité de genre
Selon celui qui prend en charge depuis 15 ans des adolescents en questionnement de genre, les débats autour de la proposition de loi sont le reflet d’un « désaccord de fond sur la notion d’identité de genre : certains n’acceptent pas l’idée que l’identité de genre ne soit pas liée à une réalité anatomique », résume le Dr Chambry.
Avec cette proposition de loi, il s’agit de permettre « aux mineurs en questionnement de genre de ne pas regretter des traitements médicaux ou de chirurgie de réassignation sexuelle suite à un mauvais diagnostic », a défendu son autrice. Cette position repose sur l’idée que « les adolescents en questionnement de genre pourraient entamer un parcours de transition par la seule influence d’une idéologie et qu’il faudrait les sauver, décrypte le Dr Chambry. Cette hypothèse n’est absolument pas vérifiée dans les études ». Surtout, elle révèle une « méconnaissance des vécus » des personnes concernées et des prises en charge, poursuit-il.
Il n’y a pas de « parcours typique ». Les prises en charge sont assurées dans des centres dédiés avec des équipes pluridisciplinaires. Leurs pratiques s’appuient sur les recommandations de l’Association mondiale des professionnels pour la santé transgenre (WPATH) et de l’Endocrine Society. La prescription de bloqueurs de puberté ou de traitements hormonaux (majoritairement à partir de 16 ans), loin d’être systématique, n’intervient qu’avec le consentement du mineur et de ses parents et après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), associant psychiatre, endocrinologue, pédiatre, mais aussi juriste et représentant associatif. Les interventions chirurgicales sur les organes génitaux ne sont pratiquées qu’à partir de 18 ans.
Faute de recherches au long cours, il n'y a pas de consensus sur les effets indésirables. L'Académie française de médecine met en garde sur l'impact des bloqueurs de puberté « sur la croissance, la fragilisation osseuse. » Actuellement, la prise en charge implique une surveillance de l'ostéodensitométrie des adolescents concernés. Une fois la puberté induite dans le sexe souhaité, l'impact initial des bloqueurs sera en quelque sorte corrigé par l'effet de l'hormonothérapie. « La littérature ne fait pas ressortir d’effets délétères majeurs des bloqueurs chez les adolescents, rassurait récemment la Dr Anne-Sophie Lambert, pédiatre endocrinologue à l'hôpital Bicêtre (AP-HP), dans les pages du Quotidien. Seule l’hormonothérapie à base de testostérone a un effet irréversible sur la virilité. »
Une actualisation attendue des recommandations
Le texte adopté au Sénat a été transmis à l’Assemblée nationale. Mais, la majorité gouvernementale n’étant pas favorable au texte, rien n’assure qu’il sera examiné par les députés. En attendant, les professionnels concernés par les prises en charge poursuivent leurs travaux pour une actualisation des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sur les parcours de transition. Si la mise à jour concernant les adultes devrait être publiée comme prévu avant fin 2024, celle sur les enfants et adolescents sera présentée en deux volets (un pour les moins de 16 ans, un autre pour les plus de 16 ans), probablement en 2025.
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