Innovations organisationnelles

Trop d’expérimentations et pas assez d’évaluations ni de généralisations pour la Cour des comptes

Par
Publié le 24/05/2023
Article réservé aux abonnés

Dans son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, la Cour des comptes a réalisé une étude sur la mise en place de l’article 51 pour les innovations organisationnelles dans le système de santé. Malgré un cadre intéressant, elle juge que la sélection n’est pas assez restrictive et la sortie du cadre expérimental pas suffisamment anticipée.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Comme chaque année, la Cour des comptes a remis son rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale. Elle y fait un focus sur différents sujets et notamment cette année, elle a décidé de se pencher sur les expérimentations article 51.

Dans la loi de financement de la Sécurité sociale de 2018, l’article 51 définissait un cadre juridique pérenne pour expérimenter de nouvelles organisations de soins et les conditions de leur financement. Un budget pluriannuel était réservé au programme, 511 millions d’euros depuis 2018.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, avant ça les expérimentations pour faire bouger le système de santé ont été peu concluantes. Entre 2007 et 2017, 23 expérimentations ont eu pour but de décloisonner les soins. Mais à part celle sur les nouveaux modes de rémunération des professionnels de santé qui a donné naissance aux maisons de santé, peu d’entre elles sont entrées dans le droit commun. La Cour des comptes donne notamment l’exemple de l’expérimentation Paerpa (parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d’autonomie) qui malgré une première évaluation mitigée en 2017 a été reconduite et étendue en 2020 puis arrêtée après une seconde évaluation confirmant les premiers résultats.

La Cour souligne aussi que certaines expérimentations pourtant prévues par la loi n’ont jamais vu le jour, d’autres n’ont pas été poursuivies. « Le recours à des expérimentations peut ainsi constituer une façon détournée de ne pas mettre en œuvre des réformes pourtant nécessaires », souligne le rapport.

Toujours des expérimentations hors cadre

L’article 51 avait donc pour but de donner un cadre propice aux innovations organisationnelles et de financement. À la fin de l’année 2022, 122 expérimentations avaient été autorisées dans ce cadre parmi 1 073 projets déposés.

Malgré la création de ce cadre, la Cour des comptes souligne que depuis 2018 des expérimentations ont été lancées hors article 51 « sans logique apparente ». Il en dénombre une vingtaine. « Ces expérimentations comportent une dimension organisationnelle et financière et auraient logiquement dû être évaluées dans les mêmes conditions que celles de « l’article 51 » ».

À titre d’exemple, les expérimentations d’accès direct aux orthophonistes, aux masseurs kinésithérapeutes ou aux infirmiers en pratique avancée (IPA), prévues par la LFSS pour 2022, « concernent la place et les prérogatives de ces professionnels de santé dans le système de soins et auront nécessairement des conséquences financières, ce qui les différencient peu des expérimentations de « l’article 51 » », détaille le rapport.

Pas de ligne directrice dans le choix des expérimentations

Par ailleurs, après des débuts timides sur le nombre de projets validés, la Cour des comptes constate le choix d’un grand nombre d’expérimentations, sans forcément de ligne directrice.

« Les pouvoirs publics ont décidé de ne déterminer ni thématique prioritaire ni nombre maximal de projets à autoriser, au-delà des quelques grandes orientations fixées par la stratégie nationale de santé et les plans nationaux (…) Les projets à portée nationale sont examinés par le cabinet du ministre au fur et à mesure de leur arrivée, sans vision globale ni comparative entre eux ».

Le rapport note des expérimentations très variées en termes de taille, délai, territoire de déploiement, ressources mobilisées, objet, organisation ou financement. « À titre d’exemple, 16 expérimentations portent sur les personnes âgées ; 11 sur l’obésité ; 13 sur la santé mentale », souligne la Cour.

« Le grand nombre d’expérimentations autorisées rend complexe le tri permettant d’identifier ceux des dispositifs dérogatoires susceptibles d’entrer dans le droit commun. Le recours à de nouvelles expérimentations devrait désormais être particulièrement sélectif. En tout état de cause, il ne devrait pas être un prétexte pour différer les décisions de modification du cadre législatif ou réglementaire nécessaires à la généralisation de celles des expérimentations déjà engagées, et dont la pertinence ne fait pas de doute », ajoute la Cour.

Parmi les expériences « particulièrement prometteuses », la Cour cite les expérimentations Peps (paiement en équipe de professionnels de santé ) ou Ipep (incitation à une prise en charge partagée ).

La Cour met aussi en avant des défauts dans l’évaluation systématique qui doit normalement accompagner ces expérimentations. Le rapport note, concernant la cellule qui suit les évaluations : « sa capacité à produire dans les délais impartis des évaluations de qualité, première étape obligée de la sortie du temps de l’expérimentation, est cependant incertaine ». Certaines évaluations ont aussi été retardées par des problèmes d’autorisation avec la Cnil pour l’accès aux données nécessaires à celles-ci.

Pratiquer des évaluations regroupées

Pour la sélection future des projets, la Cour des comptes encourage donc à « cibler les nouveaux projets sur des thèmes ou des besoins non couverts » ou encore à privilégier les expérimentations « dont les effets attendus sont les plus structurants pour le système de santé ».

Pour décider l’arrêt ou la poursuite des expérimentations, la Cour recommande aussi de le décider au regard de critères comme l’insuffisance du nombre de patients inclus. « Ainsi, l’expérimentation de forfait de réorientation des urgences n’a inclus, au bout de 22 mois, que 18 % des patients prévus », précise le rapport à titre d’exemple.

La pertinence de certaines expérimentations doit aussi être revue à la lumière des évolutions réglementaires ou conventionnelles qui ont pu avoir lieu depuis leur mise en place.

Étant donné le nombre d’expérimentations avec des thématiques proches, la Cour des comptes suggère aussi une analyse plus transversale des évaluations. Depuis 2020 des groupes d’experts ont été constitués pour des évaluations regroupées sur huit expérimentations dans le domaine de la télésurveillance et onze sur l’obésité.

« Cette approche mérite d’être développée pour d’autres expérimentations, portant par exemple sur la même pathologie ou la même population ou une composante transversale commune (organisationnelle, technologie de santé, etc.) », analyse la Cour.

Mais la plus grosse étape à franchir aujourd’hui pour la Cour des comptes est celle de la sortie du cadre expérimental et de la généralisation. Et sur ce point, le rapport note un gros défaut d’anticipation. D’autant plus qu’un grand nombre d’expérimentations doit arriver à échéance en 2023 et 2024. Parmi les 122 expérimentations engagées, 35 arriveront à échéance en 2023 et 38 en 2024. Aujourd’hui, seules deux expérimentations (lancées avant 2018 mais réintégrées via l’article 51) ont été généralisées dans la LFSS 2022 : « Mission Retrouve ton Cap » et « Ecout’Emoi ».

Anticiper les sorties d'expérimentation

Pour préparer la généralisation, la Cour des comptes juge essentiel de « définir une méthode de travail ainsi qu’un pilotage très anticipé par rapport aux échéances » et notamment d’avoir les rapports d’évaluation avant la fin de l’expérimentation.

Elle identifie trois issues pour une expérimentation. Pour celles de petite taille : un test à plus grande échelle « celui-ci pourrait être combiné à un nouveau cahier des charges et associer des expérimentations proches, réorientées à cette occasion », ajoute le rapport. La deuxième hypothèse est l’entrée dans le droit commun,« de manière plus ou moins modulée ou progressive, à travers des évolutions législatives, réglementaires ou des conventions entre l’Assurance maladie et les professionnels de santé ». Enfin, la troisième est l’arrêt, si les évaluations sont négatives.

Pour les travaux de généralisation, la Cour souligne qu’ils doivent être menés par une structure de coordination et qu’ils concernent « les systèmes d’information, l’évolution des compétences et des métiers, la formation et la coordination ».

« Les chantiers à venir, dont certains ont déjà été identifiés par le Hcaam, auraient dû faire l’objet d’une programmation et d’un pilotage resserré bien avant l’échéance des expérimentations, ce qui aurait raccourci la phase de préparation d’entrée dans le droit commun », souligne la Cour.

Par exemple pour la phase de déploiement de Peps ou Ipep, trois chantiers ont déjà été identifiés : l’adaptation des systèmes d’information, l’évolution du cadre juridique pour prévoir et préciser le rôle des structures qui répartiront les forfaits aux professionnels et le développement d’un cadre de tarification des forfaits. Ce dernier point repose « sur l’élaboration d’une nomenclature nouvelle permettant, notamment, de décrire le plus grand nombre possible de forfaits selon des règles communes permettant notamment l’intervention financière des complémentaires de santé », analyse la Cour des comptes.


Source : lequotidiendumedecin.fr