Bruno Rojouan n’en est pas à son coup d’essai et un peu de polémique ne lui fait pas peur. Mercredi 13 novembre, le dynamique sénateur (LR) de l’Allier a présenté à la presse son rapport sur les déserts médicaux, fruit d’une trentaine d’auditions. Avec un fil directeur : parvenir enfin à légiférer sur l’installation des médecins libéraux, profession qui échappe encore aux tentatives d’encadrement du Parlement. Faut-il y voir un signe ? Cette initiative sénatoriale intervient exactement au même moment que la nouvelle charge du député socialiste Guillaume Garot, qui a présenté de son côté sa nouvelle proposition de loi transpartisane pour mieux répartir les médecins avec des mesures de régulation.
Assez de la « logique des petits pas »
Le rapport sur les déserts médicaux, qui contient 38 propositions, est en réalité une actualisation du travail rendu public il y a deux ans par le même sénateur Bruno Rojouan, membre de l’influente commission de l’aménagement du territoire du Sénat, qui a adopté ce nouveau texte à la « quasi-unanimité », se réjouit son auteur.
Mais Bruno Rojouan va aujourd’hui plus loin, car « il y a urgence ». En deux ans, insiste-t-il, la France a perdu 2 500 généralistes, passant sous la barre symbolique des 100 000 omnipraticiens (tous modes d’exercice confondus). Plus de 6,3 millions de patients sont dépourvus de médecin traitant. Les nouveaux étudiants en renfort ? Pas encore assez nombreux, et ce jusqu’en 2028, ce qui annonce des années très difficiles. En termes de démographie médicale, nous sommes en pleine « décennie noire ».
Certes, en deux ans, des « avancées heureuses » pour améliorer l’accès aux soins ont trouvé leur traduction législative et réglementaire (par les budgets de la Sécu, les lois Rist et Valletoux sur l’accès aux soins) ; mais cette « logique des petits pas » doit prendre fin, d’autant qu’une myriade de décrets d’application manquent encore à l’appel.
On avait un doute sur l’acceptation de la régulation des dentistes, et finalement, c’est passé
Bruno Rojouan, sénateur (LR) et rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire
Pour le sénateur et ses soutiens de la commission de l’aménagement du territoire, l’étape suivante est évidente : il faut à tout prix mettre un terme à la liberté totale d’installation des médecins et trouver la bonne formule pour ne pas braquer. « On avait un doute sur l’acceptation de la régulation des dentistes, et finalement, c’est passé, insiste le rapporteur. Idem pour les kinés. Mais les médecins sont vraiment à part. Sauf qu’à un moment ou un autre, il va falloir réguler leur installation à eux aussi ! »
Il prévient : pas question de « réguler la totalité de l’implantation médicale, ce qui serait une folie ». Mais conditionner l’installation dans les zones les mieux dotées à un « exercice partiel en zone sous-dotée, sous la forme de consultation dans un cabinet secondaire » semble plus pertinent. Le sénateur propose que les médecins s’emparent eux-mêmes de cette idée afin de la « tester ». « Et s’ils n’en sont pas capables, on légiférera ! » Les voilà prévenus.
Si la régulation des médecins libéraux en exercice demeure son cœur de cible, l’ancien enseignant pense aussi aux jeunes pousses, et en particulier aux docteurs juniors, que les hôpitaux cherchent à garder dans leur giron une fois leur thèse obtenue. Hors de question, balaie le sénateur : pour eux aussi, un petit tour dans les déserts médicaux doit s’imposer – avec un mécanisme incitatif à la clé qu’il reste à créer.
Quotas d’étudiants
À propos des jeunes toujours, Bruno Rojouan dégaine d’autres mesures pour qu’ils soient davantage parties prenantes dans la lutte contre les déserts médicaux. L’élu imagine même un système de « quotas » par promotion d’étudiants issus des zones sous-dotées pour qui des places seraient réservées, à condition qu’ils s’installent sur le territoire où ils ont grandi. « Si on table sur 15 % d’une promotion au départ, ce doit être 15 % d’installés à l’arrivée, prévient Bruno Rojouan. Qu’ils viennent des quartiers ruraux ou prioritaires de la politique de la ville, ils doivent être accompagnés ». Dit autrement : la proportion d’étudiants en médecine admis issus de lycées en zone sous-dense devrait être au moins égale à la proportion de candidats issus de ces lycées.
Dynamiser les délégations de tâches est l’autre cheval de bataille du rapporteur. Missions, prescriptions : pour le sénateur, la priorité est de sanctuariser le travail et d’élargir le rôle des infirmiers et des pharmaciens par deux grandes lois ad hoc – la seconde devant étendre les compétences des officines.
L’accès direct, une « clé de voûte »
Plus largement, « l’accès direct (à des non-médecins) est probablement la clé de voûte pour répondre à la problématique des zones sous-denses », lit-on dans le rapport. L’entorse de la cheville est responsable d’environ 6 500 passages aux urgences par jour pour un coût de passage évalué à 1 000 euros par entorse, indique le rapport, citant la Haute Autorité de santé. Un accès direct aux kinés, c’est autant de temps médical et de consultations « inutiles » épargnés, lit-on. En bref, autant ouvrir les vannes à cette profession « dans un certain nombre de pathologies ciblées », y compris pour « leur donner un droit à prescription d’imagerie médicale et de certains anti-inflammatoires ».
Dans la même veine, le principe de permanence des soins ambulatoires (PDS-A), assurée à 97 % par des médecins selon les données ordinales, doit être élargi aux kinés ainsi qu’aux biologistes qui travaillent dans des laboratoires en zone périphérique et qui peuvent être « saisis dans la boucle » de la PDS, à l’opportunité, selon les besoins de la population. Au passage, le rapporteur suggère de donner le pouvoir à l’agence régionale de santé (ARS) de définir un tour de garde obligatoire pour les médecins « afin d’assurer le bon fonctionnement de la PDS-A ». Ces derniers apprécieront.
Se rappeler au bon souvenir du corps médical
Last but not least, Bruno Rojouan entend dynamiter les règles de la téléconsultation. Selon lui, cette pratique à distance, qui a explosé pendant la crise sanitaire avant de se stabiliser à 11,6 millions d’actes en 2023, a « totalement raté sa cible ». Les patients utilisateurs, plutôt jeunes, favorisés et urbains, ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin, explique-t-il. Il faut donc revoir les modalités de remboursement, qu’il serait judicieux de restreindre à deux seules situations : aux soins non programmés avec le médecin traitant ou un autre praticien si l’urgence est constatée par un confrère régulateur d’un service d’accès aux soins (SAS) ou de la PDS ambulatoire ; aux soins programmés avec le médecin traitant uniquement, ou un autre médecin dans le cadre du parcours de soins, et seulement avec l’assistance d’un autre professionnel de santé.
Le créatif sénateur s’est fixé un double objectif : 2025, espère-t-il, sera l’année où il pourra défendre une proposition de loi sur la base de son rapport. Et tous les deux ans, il en présentera une « révision » lors d’un « point d’étape » à la presse. Histoire de dire aux médecins qu’il ne les oublie pas.
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier
Soumission chimique : l’Ordre des médecins réclame un meilleur remboursement des tests et des analyses de dépistage
Dans les coulisses d'un navire de l'ONG Mercy Ships