La prise en charge du mésusage de l’alcool a radicalement changé en 2014 avec l’obtention de la RTU par le baclofène, la mise à disposition du nalméfène et la fin du dogme de l’abstinence au profit d’un objectif de réduction de la consommation. Ce qui a conduit la Société française d’alcoologie (SFA) à édicter en ce début d’année 2015 de nouvelles recommandations, principalement dirigées vers le médecin généraliste.
« Puisqu’une des difficultés majeures était l’abstinence imposée aux patients sévères, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, on espère que les malades vont pouvoir plus facilement accepter une offre de soins, qui peut être la réduction de consommation, quel que soit le niveau de sévérité de la pathologie observée. La Société Française d’Alcoologie (SFA) a donc jugé nécessaire d’édicter de nouvelles recommandations dans le but d’aider les généralistes à repérer et prendre en charge le patient alcoolique », explique le président de la SFA, le Pr Henri-Jean Aubin.
Apprendre à reconnaître et traiter un mésusage d’alcool
Ces recommandations (disponibles sur sfalcoologie.asso.fr) rappellent d’abord aux praticiens les seuils de risque et comment évaluer la consommation en nombre de verres standard ingérés par le patient. Les seuils sont de 4 verres par occasion pour l’usage ponctuel, de 21 verres/semaine pour l’usage régulier chez l’homme et de 14 verres/semaine chez la femme. Un verre standard étant défini par une quantité d’alcool pur de 10 grammes correspondant approximativement à 10 cl de vin, 25cl de bière à 5% ou 3 cl d’alcool à 40%.
Elles apprennent aussi aux patients à reconnaître un mésusage d’alcool, à distinguer usage à risque, usage nocif et dépendance. L’usage à risque est défini par le dépassement des seuils de manière ponctuelle ou régulière, sans dommage somatique, psychique ou social. Ce peut être aussi une consommation en dessous des seuils mais dans des situations particulières à risque (mineurs, grossesse, personnes âgées, conduite de véhicule, médicaments ou pathologie incompatibles, activité professionnelle ou sportive). L’usage nocif se définit quant à lui par des dommages somatiques, psychiques ou sociaux, sans éléments en faveur d’une dépendance. Celle-ci étant figurée par un désir puissant de consommer ou une perte de contrôle de la consommation.
Les recommandations donnent ensuite des indications sur le style de l’entretien à avoir avec le patient. Le style empathique est préconisé ainsi qu’une exploration de l’ambivalence du patient (aspects positifs et négatifs de sa consommation). On conseille aussi d’évaluer la consommation d’alcool par exemple avec l’audit C.
Sont indiquées aussi les situations dans lesquelles on doit penser à repérer un mésusage d’alcool. Lors d’un examen systématique et régulier, ou de dommages en lien possible avec l’alcool, en cas de grossesse, d’exposition ou de vulnérabilité (adolescence, grand âge), de pathologies résistantes aux traitements, de prise de médicaments incompatibles avec l’alcool, ou lorsqu’est constaté chez le patient tout changement négatif sur le plan somatique, psychique ou social.
Un questionnaire de dépistage : l’audit-C
L’utilisation par les praticiens d’un questionnaire de dépistage appelé AUDIT-C est préconisée. Sachant que quel que soit le score AUDIT-C, la consommation moyenne quotidienne d’alcool du patient sera évaluée et les comorbidités recherchées (autres addictions, pathologies somatiques en rapport avec l’alcool et psychiatriques, problèmes sociaux). Ces questionnaires sont cochés par les patients. Les résultats donnent un score, qui permet d’estimer si le problème est sévère ou peu sévère. Au-dessus de 4 pour l’homme, de 3 pour la femme, et en dessous de 10, le trouble est dit de sévérité intermédiaire.
Si les patients n’ont pas de comorbidités psychiatriques et somatiques, il leur sera proposé de réduire leur consommation afin de réduire les risques : une intervention psychosociale avec des conseils pour les y aider est mise en route (voir encadré). Si les patients sont porteurs d’une comorbidité, l’abstinence est conseillée. Des recommandations sont délivrées au patient pour y parvenir. à ce stade, aucun médicament n’est préconisé.
Quand le score de l’audit-C est supérieur à 10, les patients sont dans la dépendance. L’idéal à atteindre est alors l’abstinence. Si le malade n’y est pas prêt, il lui est proposé des conseils psychosociaux pour réduire sa consommation.
En cas d’échec d’une réduction rapide (après un essai de réduction infructueux de 15 jours, sans médicament), il est mis en route en première intention un traitement par nalméfène, selon l’AMM. Le nalméfène est prescrit à la dose d’un comprimé tous les jours où le patient pense être exposé au risque de boire, à prendre idéalement 2 heures avant le moment de ce risque ou dès le matin. Le médecin prescrit une boîte. Le patient doit être revu une semaine après, puis quinze jours après, puis une fois par mois minimum, pendant au moins six mois. Le suivi attentif de la consommation alcoolique du patient et de son adaptation des doses est un élément clé de la réussite de cette stratégie.
Si ce médicament n’est pas efficace, le baclofène est donné en deuxième intention. Cette molécule, initialement prescrite hors AMM est l’objet depuis un an d’une RTU (recommandation temporaire d’utilisation) octroyée par l’ANSM. Cette prescription très encadrée oblige à inscrire son patient dans un registre (https://www.rtubaclofene.org) et à assurer son suivi pharmacologique. Ensuite, une ordonnance pour un mois de traitement maximum portant la mention « prescription hors AMM » est délivrée. On remet conjointement au patient une attestation mensuelle de traitement, imprimable depuis le portail. Les posologies sont de 1/2 comprimé de baclofène 10 mg trois fois par jour pendant 2 à 3 jours, puis 1/2+1/2+1 (2-3 jours), puis 1/2+1+1 (2-3 jours), puis 1+1+1 (pendant 2-3 jours), puis augmenter d’un comprimé tous les 3 jours jusqu’à apparition de l’effet du baclofène. à partir de la dose de 120mg/jour, le prescripteur doit solliciter l’avis d’un médecin expérimenté dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance. Enfin, en cas d’arrêt de traitement, celui-ci devra être progressif (en 1 à 4 semaines, par paliers, par exemple de 10 ou 15 mg tous les deux jours).
Si le patient dépendant accepte l’objectif d’abstinence, des conseils psychosociaux adaptés lui sont délivrés (voir sous-papier).
Connaître les indications d’un sevrage résidentiel
Les recommandations donnent également aux praticiens quelques indications pharmacologiques sur le traitement d’un éventuel syndrome de sevrage. Les indications d’un sevrage résidentiel doivent être connues : delirium ou crises comitiales consommations associées de substances psycho-actives à doses élevées, échec de sevrages ambulatoires itératifs, comorbidités sévères, fragilités liées à l’âge, demande pressante de l’entourage.
Dans le cas d’un sevrage ambulatoire, il convient de cibler la plus petite dose efficace de benzodiazépines sur la plus courte durée. Par exemple, valium 10 (diazépam) 1-1-1-1 le 1er et 2e jours d’arrêt de l’alcool, 1-1-1 le 3e jour, 1-0-1 le 4e jour, 0-0-1 le 5e jour, tout en prescrivant au patient de rester à la maison les deux premiers jours ; de ne pas conduire son véhicule durant le traitement ; Il faut envisager un arrêt de travail et revoir rapidement le patient pour adapter la posologie selon les symptômes de sevrage ou la sédation.
On arrive ensuite dans une période de maintien d’abstinence où, en plus du suivi psycho-social, sont recommandés des traitements de première intention tels que l’acamprosate (prescrit à raison de 2 cp matin/ midi et soir, une boite de 180 cp, non renouvelable. Le traitement est pour un an. Il faut revoir le patient au moins une fois par mois). Autre traitement de première intention : la naltrexone (1 cp le matin, 1 boîte de 28 cp, renouvelable. Il faut revoir le patient au moins une fois par mois. Le traitement dure trois mois).
En deuxième intention, seront prescrits le disulfirame (à la posologie d’un demi-comprimé le matin. La durée du traitement est d’un mois renouvelable. Le patient doit être revu tous les mois) ou le baclofène (prescrit comme indiqué précédemment). Enfin, les experts de la SFA insistent sur la nécessité d’orienter le patient vers une structure spécialisée en cas d’échec. « Appliquer ces recommandations ne prend au généraliste que 15 minutes par consultation », précise le Pr Aubin.