MG Addiction, le pôle médecine générale de la Fédération Addiction, est vent debout face à la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de réduire à 80 mg/j la posologie maximale de baclofène prescrite aux patients dépendants à l'alcool dans le cadre de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU).
Cette modification de la RTU est la conséquence directe des résultats publiés la semaine dernière, montrant une augmentation du risque d'hospitalisations et de décès chez les patients exposés à des fortes doses de baclofène. À ce titre, MG Addiction émet « de fortes réserves sur cette étude qui comporte des biais méthodologiques ».
Contactée par « le Quotidien », l’ANSM a confirmé qu’une modification de la RTU allait être publiée dans les prochains jours, avec une limite haute « autour de 80 mg par jour » au lieu de 300 mg actuellement. Des préconisations seront également proposées pour accompagner la diminution des doses prises par les patients prenant actuellement plus de 80 mg par jour. L'agence précise que les données des travaux menés avec la CNAMTS et l'INSERM seront prises en compte dans l'étude du dossier de demande d'AMM déposé par le laboratoire Ethypharm.
Sortie en masse de la RTU
La mise en pratique d'une dose limitée à 80 mg/j « est impensable », estime auprès du « Quotidien », le Pr Philippe Jaury, principal investigateur de l'étude Bacloville. « Nous allons devoir prescrire à nouveau hors AMM et en dehors de la RTU », prédit-il.
« Les médecins généralistes que nous sommes sont surpris et abasourdis, rien ne justifiait de prendre cette décision dans l'urgence », affirme pour sa part le Dr Xavier Aknine, médecin référent de MG Addiction, qui rappelle qu’« en moyenne, les patients inclus dans la RTU prennent 11 cachets par jour. Ceux que j'ai en consultation sont très inquiets et décident pour la plupart de poursuivre leur traitement en dehors de la RTU, ce qui signifie qu'ils ne seront plus remboursés ». Dans le rapport publié par L'ANSM, les patients prenant plus de 75 mg sont pourtant très minoritaires : 3% des prescriptions hors AMM en 2009, et 9% en 2015.
Les membres du comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) « RTU baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool », apparemment non consultés jusqu’à présent, ont demandé à être entendus par l'agence.
La méthodologie vertement critiquée
De nombreux reproches sont formulés à l'encontre de l'étude à l'origine de la décision de l'ANSM. « Cette étude serait recalée devant un jury de thèse », ironise le Pr Jaury. L'une des principales critiques concerne le fait de n'avoir traité les données que de patients débutant un traitement baclofène, et non exposés à un autre traitement de l’alcoolo-dépendance au cours des 3 années précédentes. Or, jusqu'en mars 2017, le baclofène ne pouvait être prescrit qu'en seconde intention dans le cadre de la RTU. Les critères d'inclusion de l'étude menée par l'agence et la CNAMTS excluent donc de facto la très grande majorité des 7 000 patients inclus dans la RTU.
Par ailleurs, l'étude compare un premier groupe sous baclofène à doses croissantes et un second prenant un autre traitement de l’alcool. Les 2 groupes « ne sont pas semblables au plan de l’âge, de la coexistence de maladies somatiques et de démences, rendant difficile la comparaison », affirme MG Addiction.
Une imputabilité trop rapide ?
Les auteurs « établissent une imputabilité directe entre les décès, les hospitalisations et la prise de baclofène, sans prendre de précaution, s'emporte le Pr Jaury, au cours de l'étude Bacloville, il n'y a eu que 7 événements indésirables graves attribuables au produit. L’imputabilité a été établie avant la levée du double aveugle, après avoir été validée par le clinicien, le comité de pharmacovigilance du département de la Recherche Clinique et du développement et par un comité de surveillance indépendant », rappelle-t-il. Le Pr Jaury précise qu'un groupe de méthodologiste a été constitué pour contester l'étude de l'ANSM d'un point de vue scientifique.
Le médecin pointe enfin certaines confusions : « Le rapport évoque des crises d'épilepsie chez les patients sous baclofène, mais c'est une erreur, affirme-t-il. Ce que l'on observe, ce sont des crises de delirium tremens liés à l’arrêt de l’alcool et des benzodiazépines. Ces crises sont d'ailleurs le signe qu'il faut correctement former les médecins et informer les patients pour éviter ce genre d'événement. »
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