« Notre étude n'est pas parvenue à démontrer la supériorité du baclofène en ce qui concerne le maintien de l'abstinence à la dose cible de 180 mg/jour. Le taux d'abstinence à 20 semaines est faible dans les deux groupes, loin des hypothèses que nous avions formulées. » Cette phrase lapidaire résume bien les résultats définitifs de l'étude Alpadir, publiés dans la revue « Alcohol and alcoholism », où elle figure en entame de la discussion.
Pour le Pr Michel Raynaud, président du Fonds Actions Addictions et premier auteur de l'étude, de tels résultats ne signent pas l'arrêt de mort du baclofène : « C'est un médicament qui ne marche pas à tous les coups, mais qui a sa place dans la réduction de la consommation, affirme-t-il. Son maniement est compliqué car le dosage se fait par tâtonnement et il faut être prudent avec les effets secondaires et ne pas hésiter à faire appel à des collègues spécialistes dès qu'on a des doutes. »
Peu de patients atteignent l'abstinence
Les auteurs ont recruté 320 adultes, dont environ 70 % de gros buveurs, répartis entre un groupe traité par baclofène et un groupe placebo. Environ 37 % des patients du groupe baclofène et 44 % de ceux du groupe placebo ont quitté prématurément l'étude. À l’issue des 20 semaines de suivi, 65,6 % des patients sous baclofène et 88,8 % de ceux du groupe placebo ont atteint la dose souhaitée de 180 mg de baclofène (ou son équivalent en placebo) par jour.
Peu de patients de l'étude ont réussi à rester abstinents au cours des 20 semaines de suivi : seulement 11,9 % dans le groupe baclofène et 10,5 % dans le groupe placebo. Les auteurs expliquent ce faible chiffre en partie par le basculement du paradigme français en addictologie de la recherche de l'abstinence vers la réduction des risques. Le fort contexte médiatique autour du baclofène a également joué un rôle. « Ça a planté notre travail sur l'abstinence, affirme le Pr Raynaud, et a considérablement augmenté l'effet placebo. »
Au 6e mois, il y avait une réduction plus grande de la consommation d'alcool chez les patients du groupe baclofène : - 55,1 g/jour contre - 44,2 g/jour dans le groupe placebo, soit environ un verre d'alcool en moins par jour. Dans le sous-groupe des plus gros buveurs (plus de 13 verres par jour en moyenne), la consommation a baissé de près de 9 verres dans le groupe baclofène et de plus de 7 verres dans le groupe placebo. « Il est important de retenir que, dans les deux groupes, les patients sont sortis de la catégorie des consommateurs d'alcool à haut risque et que cette baisse est restée stable », pointe le Pr Raynaud. Pour ce psychiatre, c'est le signe de l'intérêt du baclofène pour les plus gros consommateurs d'alcool.
En ce qui concerne la sécurité, les effets secondaires sont les mêmes dans les deux groupes : somnolence, troubles du sommeil, asthénie et vertige, mais leur prévalence est plus grande dans le groupe baclofène (60 % contre 46 %). « Les effets secondaires sont franchement gênants, mais il n'y a pas eu de complications graves mettant en jeu la vie des patients, précise le Pr Raynaud, il n'y a pas eu de risque de surdosage en combinaison avec l'alcool qui aurait pu provoquer des épisodes maniaques et délirants. »
La réduction du « craving », c’est-à-dire du besoin irrépressible de boire, est le seul élément sur lequel il existait une différence statistiquement significative en faveur du baclofène. Le score sur l'échelle OCDS (Obsessive Compulsive Drinking Scale) a diminué de 11,7 points dans le groupe contre 7,5 points dans le groupe placebo. Cette baisse du craving se traduit par « un désintérêt du patient pour l'alcool », précise le Pr Raynaud, « quand ils boivent un verre, ils n'éprouvent plus le besoin d'en prendre un second ».
Le ping-pong des études
Ces résultats confirment ceux présentés lors des dernières journées de la société française d'alcoologie, en mars dernier. Avant l'étude Alpadir, menées dans des services hospitaliers, et son pendant réalisé avec des médecins de ville, Bacloville.
Deux autres études de tailles comparables ont donné des résultats contradictoires. En avril 2015, une étude allemande avait montré un avantage du baclofène employé à haute dose sur le placebo. En décembre 2016, des chercheurs néerlandais n'ont, au contraire, montré aucune différence entre les durées d'abstinence des patients sous haute dose, faible dose et placebo. « Les résultats sont contrastés et c'est normal », affirme Mickael Naassila, qui dirige le groupe de recherche sur l'alcool et les pharmacodépendances de l'Université de Picardie. « Dans la plupart des médicaments, la réponse au produit dépend des populations et des buts recherchés, poursuit-il. Le problème, c'est la mayonnaise médiatique qui a monté autour de ces résultats. Je trouve que c'est un produit intéressant, qui montre une certaine efficacité chez des patients. On a maintenant un panel de molécules (nalméfène, disulfarm, naltrexone…) dont on va pouvoir tester les combinaisons. »
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