Première cause de maladie hépatique, l’alcool est responsable d’une mortalité élevée en France, avec 7 000 décès annuels par cirrhose (1,2). Ainsi, les dernières recommandations sont de ne pas boire d’alcool tous les jours et de ne pas dépasser la dose de 100 g par semaine (2), ce qui correspond à une consommation à très faible risque. Les MFLA entrent dans le cadre nosologique de trouble lié à l’usage d’alcool qui recouvre l’usage nocif (existence d’une complication) et la dépendance (perte de contrôle de la consommation).
Recourir à la consultation d’addictologie
Le parcours de soins est très différent d’un patient à l’autre selon la situation somatique, psychologique, psychiatrique et socioprofessionnelle. Si le patient est hospitalisé ou suivi par une équipe hospitalière d’hépato-gastroentérologie, celle-ci peut s’appuyer sur l’Équipe de liaison et de soins en addictologie (ELSA) pour évaluer la situation addictologique, élaborer le parcours de soins et préparer la sortie. Il est judicieux d’organiser le suivi précocement et de fixer un rendez-vous d’addictologie avant la sortie du patient. La majorité des patients honore cette première consultation, surtout en cas de rencontre antérieure avec l’ELSA et de discours concordant entre les spécialistes. En ville, l’hépato-gastroentérologue (HGE) peut aussi avoir recours à des consultations d’addictologie, dont les coordonnées sont disponibles en ligne auprès d’Alcool Info Service et de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie. De plus, des documents et référentiels sont consultables sur les sites de la Société française d’alcoologie (3) et de la Fédération addiction.
De multiples approches
En cas de cirrhose, l’objectif est l’abstinence pour éviter l’aggravation de la maladie. Ces patients doivent faire l’objet d’une prise en charge coordonnée entre HGE, addictologue et médecin traitant. Si le patient ne souhaite pas arrêter l’alcool, des objectifs intermédiaires de réduction de consommation peuvent être envisagés afin de réduire les dommages. Le traitement est fondé sur une prise en charge psychologique adaptée aux souhaits et possibilités du patient. Les problèmes sociaux sont parfois au premier plan et nécessitent une implication importante du travailleur social. Enfin, de nombreuses associations de soutien par des pairs existent avec des styles d’approche différents. Les traitements anti-craving diminuent l’envie de boire et peuvent aider à diminuer la consommation et/ou à maintenir l’abstinence. Ils ne devraient pas être prescrits en dehors d’une prise en charge globale et doivent être adaptés à la maladie du foie (tableau ci-joint) [4,5].
D’autres psychotropes sont utilisés en cas de comorbidité psychiatrique ou de troubles du sommeil qui doivent être recherchés et traités. Il faut autant éviter un effet indésirable médicamenteux que, à l’inverse, la non-prescription d’un traitement qui pourrait être utile. Il convient également d’encourager l’arrêt du tabac et de proposer systématiquement une aide pharmacologique chez les fumeurs.
Quand hospitaliser ?
Le parcours est essentiellement ambulatoire, surtout pour les patients dont l’insertion sociale est bonne. Il peut toutefois comporter des hospitalisations, de courte durée pour sevrage simple et/ou de longue durée en Soins de suite et réadaptation addictologique. Ainsi, certains patients doivent être hospitalisés pour le sevrage, en cas de :
1/ dépendance physique, en raison du risque de sevrage compliqué (crise convulsive généralisée, delirium tremens) ;
2/ cirrhose, car une adaptation « à la carte » de la dose de benzodiazépines est nécessaire face au risque d’encéphalopathie hépatique ;
3/ situation sociale défavorable ;
4/ échec de sevrage ambulatoire antérieur.
La prévention et le traitement du syndrome de sevrage repose sur le trépied hydratation, vitamine B1 et benzodiazépines. La vitamine B1, de préférence par voie veineuse, permet de prévenir les syndromes de Gayet Wernicke et Korsakoff. Il n’est pas nécessaire de la poursuivre systématiquement après le sevrage.
Les benzodiazépines per os à demi-vie longue permettent d’éviter les accidents de sevrage. Elles doivent être strictement adaptées au score de Cushman et à l’état de vigilance. L’hospitalisation doit également être l’occasion d’un bilan à la recherche d’autres complications somatiques. Afin d’éviter le risque de décompensation et de renforcer l’alliance thérapeutique, le suivi hépatologique doit être rapproché après le sevrage. Si l’abstinence est maintenue dans la durée, le rythme de suivi pourra être calqué sur celui du dépistage du carcinome hépatocellulaire. En l’absence d’amélioration de la fonction hépatique malgré l’abstinence, la possibilité d’une greffe doit être rapidement évoquée et abordée avec l’addictologue. Le suivi est généralement prolongé. Le « temps addictologique » peut sembler très long à l’HGE, surtout en cas de maladie avancée du foie mettant en jeu le pronostic vital à court ou moyen terme. Il n’est habituellement pas linéaire et demande aux soignants d’être souples.
En somme, l’abstinence doit toujours être l’objectif thérapeutique recherché, en commençant parfois temporairement par une réduction de la consommation. Long et complexe, le suivi fait intervenir différents spécialistes médicaux et psychosociaux Ceux-ci doivent coopérer et s’aider des médicaments disponibles pour réduire au maximum les risques de consommation excessive ou de rechute. Face à la prévalence élevée et persistante de la morbimortalité liée au mésusage d’alcool en France, addictologues et HGE doivent aussi travailler à des actions de formation croisées.
Équipe Liaison soins addictologie. Service hépato-gastroentérologie, CH Intercommunal de Créteil
(1) Bonaldi C, Hill C. La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(5-6):97-108.
(2) https://www.santepubliquefrance.fr
(3) Mésusage de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement. Recommandation de bonne pratique. Alcoologie et Addictologie. 2015;37:5-14. http://www.sfalcoologie.asso.fr
(4) European Association for the Study of the Liver. EASL Clinical Practice Guidelines: Management of alcohol-related liver disease. J Hepatol. 2018:68-154-18https://easl.eu/publication/management-of-alcohol-related-liver-disease/
(5) Barrault C, Lison H, Roudot-Thoraval F, et al. One year of baclofen in 100 patients with or without cirrhosis: a French real-life experience. Eur J Gastroenterol Hepatol. 2017 Oct;29(10):1155-60.
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