C’est sur une constatation amère que la présidente de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) a ouvert la 9e édition du congrès annuel international d’addictologie de l’Albatros, à Paris ce matin : « J’avais prévu de vous dire que la lutte contre les addictions est aujourd’hui une cause nationale, mais avec le vote, cette nuit, d'un amendement modifiant la loi Evin, je ne peux pas », a déclaré Mme Danièle Jourdain-Menninger. Dans la nuit de mercredi à jeudi, au cours de l’examen en commission en nouvelle lecture du projet de loi Macron, les députés ont en effet voté l’amendement du Sénat distinguant information et publicité sur l’alcool. Ils n’ont donc pas suivi les recommandations du gouvernement, qui avait explicitement demandé la suppression de cet amendement du sénateur Gérard César (Les Républicains, ex-UMP) adopté début mai par la Haute Assemblée. « Contrairement à ce qui est dit, ces initiatives parlementaires visent non pas à maintenir mais bien à faire exploser la loi Evin et, vraiment, je dois dire que ce matin j’ai été accablée de voir que ce que la représentation nationale avait accepté », a conclu Mme Jourdain-Menninger.
Un amendement scélérat
Le cofondateur et co-organisateur du congrès, le Pr Michel Reynaud, psychiatre-addictologue à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, a également exprimé sa déception, sans retenue. « Cet amendement scélérat a mobilisé comme un seul homme l’intégralité du lobby viticole, lui-même soutenu par l’industrie alcoolière, a-t-il lancé. Il y a quelques semaines encore, on parlait de l’augmentation du binge drinking, des conséquences dans les services hospitaliers, dans les services d’urgence, on parlait également de l’augmentation de l’alcoolisation chez les femmes… Il y a un lien tellement évident avec l’élargissement de la publicité pour l’alcool dans les réseaux sociaux, sur Internet ; on ne peut qu’être terrifié de l’aveuglement de notre société. » Pour le praticien, ce vote est un pied de nez au gouvernement en place : « Je me demande comment notre président va pouvoir se présenter à Vinexpo ce dimanche ? Est-ce qu’il se félicitera que la viticulture française soit sauvée, ou est-ce qu’il regrettera que son gouvernement soit aussi peu efficace, et aussi peu puissant, que les députés puissent se moquer totalement des mesures qui ont été claires, et que les députés du gouvernement socialiste puissent voter contre la position gouvernementale officielle. » Le Pr Reynaud a annoncé qu’en juillet seront publiés les chiffres d’une enquête montrant que, chaque année, il y a environ 900 000 hospitalisations pour des problèmes d’alcool. « Cela fait plus que le nombre de patients traités pour un diabète ou pour des problèmes cardiovasculaires », a-t-il fait remarquer.
Inquiétude unanime
Après cette ouverture passionnée, le congrès de l’Albatros – dont l’objectif est de rassembler les professionnels de santé intéressés dans l’addictologie (plus de 700 cette année) pour réaliser un état des lieux de l’évolution de la discipline dans sa globalité – a débuté par une séance plénière dédiée… à la perception de l’alcool, chez les enfants en âge préscolaire. Le Dr Emmanuel Kuntsche, de Lausanne, à travers ses recherches, a montré que même les enfants de 3 à 6 ans ont déjà des représentations claires de l’alcool, véhiculées par leurs parents et par la société.
Les experts interrogés par « le Quotidien » en cette matinée ont unanimement exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis de ce vote, même si la partie n’est pas terminée. « La discussion finale sur la loi Macron aura lieu en début de semaine prochaine à l’Assemblée nationale, et nous espérons que l’ensemble de la représentation nationale, des députés français feront preuve de responsabilité devant la fraction activiste du lobby viticole, a précisé le Dr Alain Rigaud, président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA), nous espérons aussi que le gouvernement prendra ses responsabilités comme ses prédécesseurs il y a 25 ans, en déposant un amendement de suppression. Si ce dernier verrou saute, c’est vraiment très inquiétant, les députés et le gouvernement doivent prendre leur responsabilité. »
Mais les réactions d’indignation face au vote de cette nuit ont largement dépassé le cadre du congrès. L’Institut national du cancer (INCa), dès midi, diffusait un communiqué de presse rappelant que l’alcool est le 2e facteur de risque de cancer évitable, responsable de 15 000 décès par an, et que la consommation d’alcool en France demeure l’une des plus élevées en Europe.
Une ministre en colère
La ministre de la Santé, présente ce matin au congrès de la Mutualité française à Nantes, a déclaré : « Je suis en colère. Je ne comprends pas. Je regrette que la loi Macron serve à détricoter la loi Evin. C’est un coup dur pour la santé publique ».
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