Avec le contexte médiatique qui entoure le baclofène, les résultats des études Alpadir et Bacloville présentés lors du congrès des sociétés internationales et européennes de recherche biomédicale sur l'alcoolisme ISBRA/ESBRA qui s'est tenu à Berlin du 2 au 5 décembre étaient très attendus.
Leurs résultats sont, en apparence, contrastés. Présentée par le Pr Michel Reynaud, président du fonds Actions Addictions, l'étude Alpadir n'est pas parvenue à montrer l'efficacité du baclofène en ce qui concerne le maintien de l'abstinence, alors que Bacloville, défendue par le Pr Philippe Jaury, montre que ce myorelaxant parvient mieux que le placebo à réduire la consommation d'alcool des patients alcoolodépendants.
Cette différence tient autant à la sélection des patients que dans les buts recherchés. « Le baclofène n'a jamais été un médicament miracle destiné à la recherche de l'abstinence, explique au « Quotidien » le Pr Jaury. C'est un outil parmi d'autres qui vise à normaliser la consommation des patients. Les patients de Bacloville voulaient réduire leur consommation d'alcool jusqu'à un point où elle n'a plus d'impact sur leur vie quotidienne. »
À peine 10 % d'abstinences maintenues
Au contraire de l'étude Bacloville, Alpadir avait pour critère principal le maintien de l'abstinence. « L’efficacité du baclofène n’apparaît pas sur le critère de maintien de l’abstinence, vraisemblablement en raison d’un contexte médiatique orientant à la fois médecins, investigateurs et patients vers la réduction de la consommation plutôt que vers l’abstinence », estime le Pr Reynaud.
La consommation quotidienne d'alcool est passée de 95,5 à 40,4 g/jour dans le groupe baclofène et de 93,6 à 49,4 g/jour dans le groupe placebo. Ces deux réductions n'étaient pas significativement différentes. Dans le sous-groupe des plus gros buveurs (autour de 120 g d'alcool consommés par jour), les baisses sont encore plus importantes (-89,3 g/j dans le groupe baclofène contre -73,7 g/j dans le groupe placebo). Les pourcentages de patients parvenant à maintenir leur abstinence étaient très faibles, et non statistiquement différents dans les deux groupes : 11,9 % dans le groupe baclofène contre 10,5 % dans le groupe placebo.
Les auteurs de Bacloville, ne mesuraient quant à eux que le pourcentage des 320 gros buveurs inclus dans l'étude (plus de 12 verres par jours à l'inclusion) dont la consommation au bout d'un an était devenue inférieure à 40 g/j. Selon la première analyse présentée à Berlin, 56,8 % des patients prenant du baclofène, et 36,5 % de ceux du groupe placebo remplissent ce critère primaire d'évaluation.
Un traitement à la demande
Une autre différence importante entre les deux études concerne le choix des patients et la manière dont le traitement était pris. Si l'on se tient aux règles d'inclusion de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU) accordée par l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, le patient ne doit pas souffrir d'autre addiction que celle à l'alcool, il ne doit pas être déprimé et être vierge d'antécédents psychiatriques.
Ces règles ont été scrupuleusement respectées dans l'étude Alpadir, mais moins dans l'étude Bacloville : « nous avons réalisé une étude pragmatique et nous avons accepté tous les patients qui avaient besoin d'inclure le baclofène dans leur stratégie thérapeutique, explique le Pr Jaury, y compris les déprimés, les schizophrènes et les patients sous Subutex, méthadone ou antidépresseurs. Les investigateurs sont des médecins généralistes qui connaissent bien leur patient, à même de juger s'ils peuvent être inclus ou pas. »
La titration du traitement était en outre très flexible : « À l'image de l'insuline ou de la L-Dopa, le baclofène doit être vu comme un médicament "à la demande", poursuit le Pr Jaury. Ce sont les patients qui décident les doses et le nombre de prises. Cela en fait un médicament difficile à prescrire pour beaucoup de médecins car il faut laisser le patient libre de gérer son traitement *. »
Suite à ces résultats, le laboratoire Ethypharm qui souhaite proposer une nouvelle formulation de baclofène adaptée au traitement de l'alcoolodépendance a annoncé être en attente des résultats définitifs de l'étude Bacloville, et notamment des données de sécurité, pour finaliser la demande d'AMM.
* Afin de former les médecins généralistes au soutien psychologique dans le suivi des patients, un DU "Psychothérapies et Médecine Générale" est désormais organisé à l'Université Paris-Descartes sous la responsabilité du Pr Philippe Jaury et du Dr Cédric Lemogne. Information : 01 56 09 33 71 mail : pascale.van-vaeck@aphp.fr
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