L’ATTRAIT du risque serait-il le propre de l’homme ? Dès la petite enfance, le garçon y succomberait, tombant de la table à langer plus fréquemment que la fille. Au volant, l’excès de vitesse a valu le retrait du permis en 2008 à 9 fois plus de Français que de Françaises (100 000 permis au total ont été retirés). Or, ces dernières, qui ont à 60 ans une espérance de vie (27 ans) supérieure de 5 ans, affichent au compteur de leur voiture quasiment le même kilométrage annuel que leurs compagnons. Et qu’on ne vienne pas dire au Pr Claude Got, auteur de « Risquer sa peau » (Bayard, 1991), que le pied sur le champignon n’entre que pour 20 % dans les décès routiers, comme l’indique le ministère des Transports. « Tous les sinistres de la circulation lui sont imputables. Si on ne prend pas sa voiture, on n’a aucune (mal)chance de tuer et/ou de mourir », lance-t-il au « Quotidien ». Les 40 millions d’automobilistes sont exposés « à un risque commun constant ». « Une relation dose-effet fixe le niveau du danger, quantifié depuis 1982. Quand on diminue de 1 % la vitesse, la mortalité chute de 4 %. » Sur la période 2002-2008, le nombre de tués a régressé de 48 %. Ce, grâce à un recul de 12 % de la vitesse, rendue possible par une circulaire Sarkozy du 18 décembre 2002 interdisant les « indulgences » sur les infractions routières ( « trafic d’influence »), un abaissement des « tolérances » de dépassement des limites légales de 30 à 5 km/h jusqu’à 100 km/h et la mise en place de radars automatiques ennovembre 2003.
°La vitesse corrélée à l’agressivité
L’année dernière, sur 4 274 personnes qui ont perdu la vie dans les 30 jours suivant un accident et 91 669 blessées, respectivement 75 % et 65 % sont des hommes. La surmortalité du sexe prétendument dit fort s’élève à 3,6 (voir tableau). En cause, le plus souvent chez des personnes ayant des antécédents accidentels et de non-respect du code : la vitesse*, l’alcool, l’absence de ceinture et/ou de permis, « corrélés à des dispositions psychiques : recherche de sensations, agressivité et moindre perception du danger », analysent J.-L. Martin, S. Lafont, M. Chiron, B. Gedegbeku et B. Laumon (INRETS/UCBL/UMRETTE**) dans la « Revue d’épidémiologie et de santé publique » (bimestriel, 2004, vol.52).
Dans leur étude, portant sur l’année 2001, les auteurs identifient « les individualistes entrepreneurs », des personnes « qui prisent particulièrement les risques ». Ils se croient supérieurs, pensent « qu’ils sont responsables de ce qui leur arrive et qu’ils doivent agir pour obtenir ce qu’ils veulent ». Ce sont des jeunes gens qui ne maîtrisent pas suffisamment le volant, des chefs d’entreprise qui pratiquent une conduite rapide ou « sportive », des ouvriers qui « veulent attester d’habileté en retirant le dispositif de protection » de leur voiture. Il y a aussi les « fatalistes », qui se rencontrent chez des « subordonnés subissant un ordre imposé : exécutants, chômeurs et marginaux». Ils se livrentdiverses formes de dénégation du risque. Et l’on peut observer des suicides de la circulation non revendiqués comme tels. De facto, agressivité et délinquance s’apparentent à des déterminants d’infractions routières. Tous ces ingrédients réuniscaractérisent « bien une violence essentiellement masculine qui s’exprime sur la route » et « le lit de tels comportements est en grande partie culturel, reposant sur la valeur accordée à la prise de risque ».
° Alcool, au nom de la virilité
Avec le vin, les apéritifs et autres bières, on parle d’alcoolisation aiguë (AA, troubles du comportement) ou chronique (AC), voire de dépendance dont on ne sort que par un arrêt définitif. Pour l’AA témoignant d’un usage à risque et l’AC, consommation à problèmes, un repérage précoce par le médecin traitant est de rigueur. Pas plus de 4 verres ( à 10 g d’alcool l’unité) par occasion, suggèrent des spécialistes, et 2,4 par jour pour les hommes, ou 3 à 8 g d’alcool, recommandent les autorités de santé anglaises en guise de « limite de consommation raisonnable ». Vingt-cinq pour cent des patients qui consultent un généraliste sont des buveurs à risque ou à problèmes, 4 fois plus que chez les femmes. Vingt pour cent des hommes sont touchés par des problèmes d’alcool et 5 % sont dépendants,contre10 % et 2 % de la population féminine. « La fréquentation de bistrots, les rencontres autour de verres et les ivresses, au nom de la virilité» ouvrent la voie, souligne le Dr Benoît Fleury, hépato-gastro-entérologue au CHU de Bordeaux, membre du conseil d’administration de la Société française d’alcoologie. « En revanche, on ignore pour quelle cause l’un boit occasionnellement et un autre régulièrement. D’aucuns le font pour se doper, être en forme, mais il n’existe pas de personnalité prédisposant à l’installation d’une dépendance. Une consommation quotidienne et excessive favorise une possible addiction, sans toutefois être un paramètre suffisant. "Pourquoi suis-je devenu un alcoolique ?" , me demande-t-on et ma réponse reste en suspens, confesse le Dr Fleury. Ici, une comorbidité psychiatrique (dépression, anxiété, bipolarité) et des moments de vie - un divorce, à un décès...- contribueront à faire naître une accoutumance. La dépression et l’abus de boissons seront aggravés. Là, un sujet déprimé verra son état empirer sans boire une goutte d’alcool. » En termes de mortalité annuelle, le chiffre est édifiant : 35 000 victimes, estime l’Office français des drogues et des toxicomanies. L’impact sur la morbidité, lui, est encore mal déterminé. En 2004, 98 000 hospitalisations avec diagnostic d’abus d’alcool - 4 hommes pour une femme - sont liées des ivresses, 60 000 à des demandes de sevrage, 27 000 à des démences d’origine alcoolique et des cirrhoses (entre 1,5 et 2,5 pour 1 000 dans le pays). « L’alcool est un problème grave, énorme, monstrueux, au regard des 15 ans et plus qui boivent en moyenne 2,8 verres par jour, 4,4 pour l’homme et 1,4 chez la femme, insiste Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut de cancérologie Gustave Roussy de Villejuif (Val-de-Marne) . Les médecins, parasités par les alcooliers, font l’erreur de s’en tenir aux déclarations de leurs patients. Pour apprécier les verres bus quotidiennement, il convient de multiplier par 2,5 ce qu’ils avancent. Il ressort alors que les buveurs à problèmes, recherchés par le corps médical afin de les aider, représentent les trois quarts des consommateurs d’alcool » (voir tableau).
° Le piège addictogène de la cigarette
Le fumeur, pour sa part, offre un profil singulier. « Il ne découvre pas le tabagisme par goût du risque mais via la dépendance. » Le fort pouvoir addictogène de la cigarette le piège. Et si les jeunes, qui n’ignorent plus les dangers du tabac, fument, ce n’est pas non plus pour un hypothétique plaisir tabagique mais par transgression, laisse entendre le Pr Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de prévention du tabagisme. A 12-15 ans, 75 % des adolescents ont expérimenté l’herbe à Nicot et à 18 ans 35 % s’y adonnent fréquemment. La proportion de fumeurs atteint un pic à 25 ans, avec 37 %, la moyenne pour les 15-75 ans étant de 25 %. À partir de 35 ans, on cherche à s’en sortir, parfois en vain. Dans la classification des maladies psychiatriques DSM-IV, le fait de continuer à prendre une substance en dépit de la connaissance qu’on a de sa nuisance avérée est considéré comme participant, avec d’autres éléments, de l’état de dépendance. Le temps où la « Camel » était « la marque préférée des médecins », au lendemain de la deuxième guerre mondiale, semble bel et bien révolu. Tout un chacun sait que le tabac tue. Chaque année, 60 000 personnes en meurent, principalement des hommes (54 000)***.
Bon an mal an, la voiture, l’alcool et la cigarette fauchent 90 000 Français****, dont 3 hommes pour 1 femme.
* Avant les contrôles automatisés par radars, la moitié des véhicules dépassait les vitesses autorisées.
** Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité/Université Claude Bernard Lyon/Unité mixte de recherche épidémiologique transport travail environnement.
*** Dans 40 ans, les hommes fumant moins et les femmes un peu plus actuellement, les 2 sexes devraient être à égalité face à la mort tabagique.
**** Ce chiffre de Catherine Hill tient intègre des recoupements entre les 3 fléaux. Le tabagisme et l’alcoolisme sont à l’origine respectivement de 60 % et de 56 % des cancers de la bouche, du larynx, du pharynx et de l’sophage, tandis que les verres de trop se retrouvent pour une part dans la mortalité routière (19 %).
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